NATURE ACTUALITÉS ET OPINIONS
10 décembre 2025
Plus ancienne preuve connue d'allumage contrôlé du feu
Un site vieux de 400 000 ans, mis au jour en Angleterre, révèle des traces de feux volontaires provoqués à l'aide de pyrite (un minéral de fer) pour produire des étincelles.
Par Ségolène Vandevelde
Nature Podcast
Découvrir des preuves convaincantes de l'existence d'anciennes traces de feu représente un véritable défi. Dans un article publié dans Nature, Davis et al.¹ font état d'une avancée significative dans ce domaine. Grâce à diverses techniques et à une approche contextuelle, cette équipe multidisciplinaire présente un ensemble de preuves cohérentes de la plus ancienne utilisation contrôlée du feu connue, notamment des signes d'allumage délibéré. Ces traces de feu ont été datées de 400 000 ans et découvertes à Barnham, dans le sud de l’Angleterre.
Au fil du temps, les structures de combustion subissent des processus de dégradation, ce qui rend leur identification plus difficile à mesure que les scientifiques remontent dans le temps. Il est encore plus complexe de distinguer avec certitude les feux d'origine humaine ou ceux d'anciens ancêtres de l'homme (qui, comme Homo sapiens, appartiennent au groupe des hominines) de ceux d'origine naturelle. Les indices sont souvent ténus ou indirects, et différentes causes sous-jacentes peuvent laisser des traces similaires. En général, il est difficile de tirer des conclusions définitives, notamment en plein air, où les feux naturels peuvent altérer thermiquement les artefacts plus facilement que dans des environnements clos, comme les grottes.
Les études archéologiques du feu (une branche de la science appelée pyroarchéologie) ont fait de grands progrès grâce au développement de nouvelles méthodes (voir go.nature.com/48naazd). Par exemple, les analyses archéomagnétiques permettent d'identifier les sédiments chauffés et d'étudier les phénomènes survenus lors de ces épisodes de chauffage². Cette technique révèle des aspects du champ magnétique terrestre, tels que son intensité et sa direction, enregistrés dans des minéraux ferromagnétiques, permettant ainsi aux scientifiques de dater les périodes de chauffage des sédiments. Combinée à l'analyse archéostratigraphique, cette approche permet même de mesurer avec une précision décennale, voire centennale, l'intervalle de temps entre les dernières utilisations de deux foyers³. Des techniques de caractérisation, comme diverses approches spectroscopiques, peuvent indiquer si un chauffage a eu lieu et, le cas échéant, son intensité, permettant ainsi d'identifier des traces d'incendies parfois imperceptibles ou à peine détectables sans ces mesures⁴,⁵.
L'étude des composés organiques issus de la combustion, appelés hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), est de plus en plus utilisée en archéologie, car le rapport entre les HAP légers et lourds permet de distinguer les feux d'origine humaine des feux naturels⁶. La mise en évidence de la récurrence de plusieurs incendies au même endroit est également un bon indicateur de l'usage et de la maîtrise du feu par les hominidés⁷.
Davis et ses collègues présentent ce qu'ils ont identifié lors des fouilles comme étant potentiellement un foyer à ciel ouvert, marqué par des sédiments rougis par endroits. Le site de Barnham est difficile à étudier car les traces sont extrêmement anciennes et il s'agit d'un site à ciel ouvert, avec quelques artefacts en pierre brûlée mais aucune trace de charbon de bois, de cendres ou d'ossements calcinés. Pris isolément, ces vestiges ne démontrent pas sans équivoque l'utilisation du feu par des ancêtres humains. Un feu naturel aurait pu laisser des traces similaires.
Pour démontrer que les vestiges observés à Barnham sont bien ceux d'un foyer, les chercheurs ont utilisé des techniques complémentaires pour analyser les sédiments rougis. La méthode de micromorphologie — l'étude de blocs de sédiments au microscope pour identifier et interpréter les marques de combustion⁸ — a révélé une altération thermique localisée des sédiments, une découverte compatible avec la présence d'un foyer plutôt qu'avec un feu de forêt.
L'analyse du magnétisme environnemental a confirmé que la magnétisation des sédiments rougis était due à la chaleur. De plus, l'interprétation des propriétés magnétiques des sédiments archéologiques, par comparaison avec des matériaux de référence expérimentaux, a révélé des épisodes de feu brefs et répétés au niveau du foyer, compatibles avec l'utilisation d'un foyer artificiel par les hominines. L'identification et l'analyse des HAP dans les sédiments ont mis en évidence une plus grande abondance de HAP lourds que de HAP légers, confirmant ainsi l'usage du feu par les hominines. L'analyse des sédiments a également révélé que les températures des feux atteignaient au moins 750 °C par endroits. Les auteurs ont par ailleurs identifié des artefacts en pierre brûlée, rougis et fissurés par la chaleur.
En outre, l'analyse géologique des roches environnantes indique que la pyrite de fer, présente sur le site (Fig. 1), est rare à proximité de Barnham. Ceci suggère que les deux fragments de pyrite de fer trouvés sur place proviennent d'ailleurs. L'étude de ces fragments (par imagerie haute résolution et caractérisation minéralogique) indique qu'ils ont subi une oxydation après leur arrivée sur le site. Cela suggère que la pyrite sous sa forme non oxydée, qui peut être utilisée pour générer des étincelles afin d'allumer un feu, a été apportée sur le site (puis, après son enfouissement, dans les couches mises au jour par les fouilles, elle s'est oxydée et est devenue incapable de générer des étincelles).
Figure 1 | La pyrite de fer, minéral générateur d'étincelles, a été découverte associée à un ancien foyer. Davis et al.1 rapportent la plus ancienne utilisation contrôlée du feu connue sur un site vieux de 400 000 ans dans le sud de l'Angleterre. Les auteurs ont trouvé des traces de feux sur le site ainsi que la présence de pyrite de fer, un minéral rare localement et probablement transporté sur place comme outil pour allumer des feux volontairement. Deux fragments (a et b) de pyrite provenant du site vieux de 400 000 ans sont présentés sous différents angles. (Adapté de la figure 4 de la référence 1.)
Les études géologiques des auteurs apportent de nombreuses preuves chronologiques et environnementales confirmant l'ancienneté des traces de feu. L'ensemble des données présentées par Davis et ses collègues suggère fortement que les hominines étaient capables d'allumer des feux il y a déjà 400 000 ans.
De la pyrite de fer a déjà été identifiée sur un site majeur du Paléolithique moyen (période s'étendant d'environ 300 000 à 40 000 ans). Par exemple, on en a trouvé dans la grotte de Scladina en Belgique (datée d'environ 42 200 à 44 600 ans, période où le site était occupé par des populations néandertaliennes), mais ces sites ne présentent pas de lien évident avec les caractéristiques associées aux traces de feu9. Les travaux de Davis et de ses collègues ne présentent pas les preuves les plus anciennes de l'utilisation du feu, étant donné que des hominidés plus anciens ont utilisé le feu (vraisemblablement des feux d'origine naturelle) il y a plus d'un million d'années en Afrique et il y a environ 500 000 ans en Europe7,10. Ils révèlent cependant l'un des premiers cas connus de maîtrise du feu et de son usage habituel en Europe occidentale. Et surtout, il s'agit du cas le plus ancien pour lequel on peut supposer que des ancêtres de l'homme étaient capables d'allumer des feux.
Malheureusement, aucune découverte d'outils d'allumage (pierres portant des traces de frottement avec la pyrite, caractéristiques de l'utilisation du silex comme briquet) n'a été signalée à ce jour sur le site de Barnham. De telles preuves, comme celles trouvées dans des contextes du Paléolithique moyen plus récents11 (datant d'environ 50 000 ans), démontreraient sans équivoque la capacité d'allumer un feu en révélant des traces de l'action même d'allumer un feu. Néanmoins, les auteurs ont réussi à établir, grâce à un ensemble de preuves solides, une thèse convaincante en faveur de l'utilisation contrôlée et répétée du feu par les hominines sur ce site.
Les recherches de Davis et de ses collègues constituent une combinaison rigoureuse et efficace de méthodes complémentaires, s'appuyant également sur des échantillons de référence expérimentaux robustes. Elles offrent un bon exemple de méthodologie à suivre sur les sites où les cendres, les ossements calcinés et les charbons de bois ne sont pas conservés dans la structure du foyer. Cette étude repousse les limites de la datation quant à l'apparition de la maîtrise du feu dans le répertoire technologique des hominidés, car on considérait généralement que son usage habituel remontait à une période comprise entre 400 000 et 300 000 ans avant notre ère10. Les résultats de Davis et de ses collègues encourageront la poursuite des recherches de traces de feu sur les sites anciens, même lorsque ces vestiges sont difficiles à déceler en raison d'altérations postérieures à leur dépôt. Cette recherche démontre comment des équipes multidisciplinaires peuvent collaborer efficacement pour révéler, caractériser et interpréter les traces d'anciens feux.
doi : https://doi.org/10.1038/d41586-025-03735-9
Références
- Davis, R. et coll. Nature https://doi.org/10.1038/s41586-025-09855-6 (2025)
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