La chapelle Brancacci de l'église Santa Maria del Carmine
Le génie de Masaccio, pionnier de la Renaissance

Impossible de parler de la Renaissance italienne sans évoquer Masaccio. Et la visite de la Chapelle Brancacci, dans l'église carmélite Santa-Maria del Carmine, dans l'Oltrarno (sur la rive gauche, largement en aval du Ponte Vecchio) nous en offre la plus belle des opportunités.
Son contemporain, le peintre et architecte Leon Battista Alberti, celui qui a théorisé la perspective inventée par Brunelleschi, disait que Masaccio, Donatello, Brunelleschi, Luca della Robbia et Ghiberti étaient les cinq rénovateurs de l'art de son époque.
Giorgio Vasari, peintre et historien de l'art du XVIe siècle, souvent cité, disait qu'il marchait dans les traces de Donatello et de Brunelleschi, bien que suivant une autre branche de l'art, qu' "il s'éloigna tant du faire des autres artistes, en dessinant et en peignant à la moderne, que son dessin et son coloris peuvent sans désavantage soutenir la comparaison avec ceux des maîtres actuels".
Mais parler de Masaccio et des fresques de la Chapelle Brancacci n'est pas chose aisée. D'abord parce que Masaccio, qui n'a vécu que 27 ans, a laissé très peu de traces biographiques et qu'il existe beaucoup de contradictions au sein des historiens qui s'y sont essayés. Sa personnalité demeure un mystère. Tout autant que sa mort. Et pourtant, "faut faire avec", car il est incontournable. Il est un des plus grand novateurs de l'Histoire de l'Art, peut-être le plus grand, et pourtant si méconnu, voire inconnu de la majorité.
Ensuite, cette Chapelle Brancacci, qui est LE joyaux de l'apparition de la Renaissance, ignorée de tant de touristes qui visitent Florence, a vu les pinceaux de trois peintres. Et que si la patte du dernier, Filippino Lippi, qui est venu, 50 ans plus tard, réparer les dégats et compléter les parties manquantes, ne fait aucun doute, bien des doutes, au contraire subsistent sur l'attribution de telle ou telle partie aux deux autres, qui, s'ils n'ont pas opéré de concert, ont en tous cas opérés dans un espace de temps qui leur était commun. L'aîné, Tommaso di Cristoforo Fini dit Masolino da Panicale, et le cadet, Tommaso di Ser Giovanni di Mone Cassai, dit Masaccio. Deux Tommaso ("Thomas" en français), dont le diminutif était "Maso", mais qui, comme c'était la mode en Toscane, étaient affublés de suffixes descriptifs. "Lino", le "petit" pour Masolino. Cela peut être juste affectueux, mais aussi, les descriptions écrites et des portraits le décrivent de très petite taille. "Cio", pour "Un peu fou", "empoté", à côté de ses pompes, dirions-nous aujourd'hui, ou encore "marginal", qualifiait l'autre Maso. Lui, tous les témoignages indiquent qu'il était plutôt grand et de forte stature, mais s'intéressant peu au "paraître", bourru et dépenaillé. Tout les opposaient, et pourtant, ils ont pu s'entendre pour créer plus qu'un chef-d'oeuvre, LE témoignage absolu d'un changement d'époque.
Santa Maria del Carmine
Santa Maria del Carmine est un ancien couvent situé sur la rive gauche de l'Arno, largement en aval du Ponte Vecchio, et donc, relativement à l'écart de la vie trépidante de Florence à cette époque, laquelle se concentrait autour du Palazzio Vecchio, de Santa Maria del Fiore, d'Orsanmichele, des rues des ateliers des corporations, du Ponte Vecchio et du quartier de Santa Croce.
C'est un monastère dédié à Notre Dame du Mont Carmel, avec son église, ses cloîtres et ses lieux de vie et de prières de moines, appelés Carmes. Tout cet ensemble, quoique fortement modifié à cause des aléas de l'Histoire est encore visible aujourd'hui.
L'Ordre du Carmel ("les Carmes" pour les hommes, "les Carmélites" pour les femmes) est un ordre religieux contemplatif fondé par des ermites sur le Mont Carmel en Palestine, et dont le père spirituel est le prophète Élie. Suite à la prise de Jérusalem par le sultan kurde Saladin en 1187, et l'échec de la troisième croisade de 1189, les ermites carmes se replient sur l'Europe et s'établissent en ordre monastique mendiant (vivant dans la prière, l'oraison, la pauvreté, et de facto la mendicité, ce qui à l'époque était considéré comme un gage de pureté, et subvenir aux besoins de ces moines était un gage de foi), au même titre que les franciscains, les dominicains et les augustins.
Et donc, c'est dans ce contexte que fut construit en 1268 le couvent de Santa Maria del Carmine de Florence, dédié à la Vierge du Carmel.
La Chapelle Brancacci
Le XIVe siècle, nous en avons déjà parlé, fut un siècle catastrophique pour la population européenne. La population de Florence, de 120000 habitants en 1300, ne fut plus que d'environ 40000 au début du XVe siècle. La Grande Peste de 1948-52 et ses rebonds à travers toute la seconde moitié du siècle (continuant d'ailleurs au siècle suivant) en fut la principale cause. Comme toujours, en périodes de grands désastres, certains arrivent à en tirer profit et on voit de fortunes se construire au milieu du malheur des autres.
Les Brancacci étaient de ceux-là. Ils étaient une très riche famille de drapiers, amis de surcroit avec les Strozzi, la plus riche famille noble de Florence. Pala Strozzi étant à cette époque un banquier et homme politique puissant. Dans son testament du 20 février 1367, Piero di Piuvichese Brancacci voulut que soit construit une chapelle dédiée à son Saint-Patron, Saint Pierre, dont il portait le prénom. Une chapelle fut acquise à l'extrémité droite du transept de Santa Maria del Carmine. En 1387, Antonio Brancacci y entreprit les travaux de rénovation. Mais il fallut attendre Felice Brancacci, son neveu, devenu un riche marchand de soie (en ce début de Quattrocento, la mode était devenue beaucoup plus raffinée à Florence, et les vêtements de soie ornés de bijoux avaient pris le pas sur la laine dont le commerce périclitait), pour que celui-ci envisage de décorer la chapelle de fresques. Il connaissait Tommaso di Cristoforo Fini dit Masolino da Panicale, qui avait une bonne réputation dans la peinture gothique internationale et qui en ce moment était sur un chantier à Empoli. Masolino, voyant l'immensité de la tâche comprit vite qu'il n'y arriverait pas tout seul. Il avait déjà travaillé avec un jeune peintre prometteur, cet autre Tommaso qu'on appelait Masaccio sur la Sant'Anna Metterza de l'église Sant'Ambroggio, et il lui proposa de collaborer aussi aux fresques de la chapelle de Felice Brancacci à 50/50. Il n'était donc pas question d'une relation de maître à élève, comme on le voit écrit à de nombreux endroits, mais d'une véritable collaboration d'égal à égal, malgré la différence d'âge d'environ 18 ans (Masolino avait presque 2x l'âge de Masaccio).

Plan de la chapelle avec les noms des fresques, y compris
celles de la croisée d'ogives, aujourd'hui disparues
MC: Masaccio; MI: Masolino; L: Filippino Lippi
Les deux peintres ont commencé les travaux des fresques de la chapelle vers 1425. C'est en tous cas la meilleure date dont on dispose en croisant les témoignages. Mais dès la fin de l'année, Masolino abandonnait le chantier pour partir en Hongrie pour y exécuter des commandes royales. Laissant ainsi Masaccio seul, qui y accomplit pendant ce temps un travail colossal, dont la fresque du Paiement du Tribut (5,9m x 2,3m) qui reste encore aujourd'hui un des tous grands chefs-d'oeuvre de l'Histoire de l'Art et peut-être le plus grand apport à la peinture moderne, tournant le dos à la peinture gothique. Masaccio cependant, bien que mettant toujours la priorité sur Brancacci, travaillait aussi sur d'autres chantiers, ce qui lui vallu un très long séjour à Pise en 1426 pour y exécuter le polyptique de l'église du Carmel. Masaccio retourna travailler avec assiduité à Brancacci en 1427, malgré un premier séjour à Rome et surtout la réalisation de cette autre oeuvre incomparable qu'est la Trinité de la basilique Santa Maria Novella de Florence, à la demande empressée de ses amis Brunelleschi et Donatello.
Masolino revint temporairement à Florence en 1427, et ils eurent à nouveau l'occasion de retravailler conjointement dans la chapelle Brancacci pendant quelque temps. Masolino partit une seconde fois pour Rome. En 1428, Masaccio fut appelé à l'y rejoindre, mais personne ne le verra jamais arriver. On sait, de par le cahier des taxes, qu'il est entré dans la ville, mais plus personne ne l'a revu en vie. Il n'avait pas encore 27 ans.
Les fresques demeurèrent donc inachevées. La plus grande partie aujourd'hui sont attribuées à Masaccio. À l'exception d'une grande fresque faisant face au Paiement du Tribut et d'égale grandeur, mais à laquelle Masaccio a également apporté son savoir faire. Ainsi qu'une plus petite fresque sur la partie gauche de l'autel, dans le prolongement du "Tribut" représentant Saint Pierre prononçant un sermon, et celui de l'extrémité droite représentant Adam et Ève et le Péché Originel. Toute la partie basse du mur droit, espace qui, de par leur partage à 50/50 revenait à Masolino, était restée vierge.
On pourrait penser que la contribution de Masolino était bien moins importante que celle de Masaccio. Mais c'est oublier le plafond en croisée d'ogives et les tympans de gauche, de droite et du centre (ce dernier, encadrant la fenêtre) dont les fresques étaient complètement terminées. Giorgio Vasari les a vues et les décrit dans son traité de 1550 sur "Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes". Mais l'attribution à Masolino qu'il en fait est à prendre avec précaution. Il semble qu'il ne fasse guère de distinction entre les styles de Masaccio et Masolino. De plus, s'il était un bon critique d'art et un bon témoin, les faits historiques qu'il évoque manquent très souvent d'exactitude. Il situe la naissance de Masolino à Val d'Elsa, près d'Empoli, alors que tout indique qu'il soit né effectivement à Panicale, même si ses parents n'y étaient que de passage. Toujours selon Vasari, il serait mort à 37 ans, alors qu'étant né entre 1383 et 1395 (la date demeure incertaine), et mort en 1447, il avait alors entre 52 et 64 ans. Il est en tous cas probable que Masaccio ait en partie collaboré à la voûte ou aux tympans. ces fresques du plafond ont aujourd'hui complètement disparu. Dans les années 1746-1748, la fenêtre gothique à meneaux a été remplacée par une fenêtre de style baroque tardif, encore en place aujourd'hui. Il a pour cela fallu casser la voûte et abîmer ses tympans. Un petit dôme les a remplacés, peint par Vincenzo Meucci. Ce qu'on sait, c'est que des dessins préparatoires des fresques originales de la voûte et des tympans ont été retrouvés et étudiés dès le début du XXe siècle par l'historien d'art Roberto Longhi, qui les a attribué à Masolino. À l'exception, semble-t-il du dessin préparatoire de la sinopia du "Saint Pierre repentant" sur le demi-tympen central, à gauche de la fenêtre (une sinopia est un dessin souvent exécuté au charbon de bois, reprenant contours et ombrages, avant la pose de l'enduit définitif, de quelques mm d'épaisseur qui va recevoir les couleurs pigmentées). Ce dessin, à peine esquissé, de l'avis unanime des historiens, est de la main de Masaccio. Le doute demeure donc. Masaccio et Masolino ont-ils commencé ensemble ou Masolino a-t-il fait appel à son jeune compère après avoir presque terminé l'étage de la voûte ?
Après la mort de Masaccio, Masolino n'est jamais revenu à la chapelle, et pendant plus de 50 ans, plus aucuns travaux n'y ont été accomplis. Quand Cosme l'Ancien, qui avait été envoyé en exil en 1433 par les oligarques dominant Florence, est revenu et a pris le pouvoir, appuyé par le peuple, un an plus tard, en 1434, il force à son tour à l'exil les riches familles concurrentes, dont les Albizzi et les Strozzi. Les Brancacci étaient des amis des Strozzi, et bien que n'ayant pas comploté contre les Médicis, ils durent également s'exiler de Florence. Ce n'est qu'après leur retour vers 1480, que Filippino Lippi, le fils du carme Fra Filippo Lippi, fut chargé de terminer la chapelle. Il exécuta toute la partie basse du mur droit, et compléta ou sans doute répara la fresque inférieure du mur gauche, exécutée par Massacio. L'hypothèse de la réparation est la plus probable car Masaccio y avait repris, comme il en avait l'habitude, des visages connus des Floentins parmi les personnages de la fresque. Et dans celle-ci, "La résurrection du fils de Théophile et Saint Pierre en chaire", il avait représenté plusieurs membres de la famille des commanditaires. Il est très vraisemblable que ces visages aient été saccagés une fois les Brancacci en exil.

Adam et Ève chassé de l'Eden, par Masaccio.
On y voit les altérations des couleurs dues aux fumées et surtout à la chaleur de l'incendie, mais aussi les censures apportées aux fresques sous Cosme III de Médicis.
En 1771, un gigantesque incendie détruisit pratiquement toute l'église. Elle a été reconstruite par l'architecte Giuseppe Ruggieri en style baroque tardif. Cet incendie épargna fort heureusement la chapelle Brancacci. Mais l'incendie de 1771 l'avait aussi partiellement endommagée, mais l'étendue des dégâts ne fut pas immédiatement évidente. Ce n'est que plus tard, en effet, qu'on découvrit que la chaleur du feu avait saturé les couleurs des fresques, les rendant opaques et "pierreuses". En fait, lors de la première restauration de la chapelle, on pensait qu’elles étaient les vraies couleurs utilisées par les trois peintres. Par conséquent, le choix des couleurs de Masaccio a été critiqué, même si le talent plastique a continué à être apprécié. Tandis que le travail de Masolino et Filippino Lippi fut jugé médiocre. Cependant, en 1932, l'historien de l'art Ugo Procacci découvrait une partie de la fresque, cachée sous deux dalles de marbre sur l'autel, avec des couleurs brillantes et vibrantes. Dès cette découverte, on comprend que probablement, les autres fresques devaient avoir le même chromatisme à l'origine. Ainsi un travail de restauration profond a été effectué de 1983 à 1990, qui a mis à la lumière les vraies couleurs de la Chapelle.
Les fresques avaient d'ailleurs été presque complètement oubliées du XVIIe au XIXe siècle. Il a fallu des historiens de l'Art de talent pour les redécouvrir et reconnaître le génie pionnier de Masaccio. Parmi eux, il faut citer évidemment l'Italien Roberto Longhi (1890-1970), le Gallois Michael Baxandall (1933-2008, cf "L'oeil du Quattrocento") et bien sûr le Français Daniel Arasse (1944-2003).
Il faut encore ajouter que sous le règne de Cosme III de Médicis (1670-1723), célèbre pour être un catholique très conservateur, les figures d'Adam et Eve étaient recouvertes de lierre peint sur les parties représentant les organes génitaux. Cette couverture fut retirée lors de la restauration de 1990, et ainsi la composition retrouva son aspect d'origine
Masaccio

Masaccio, autoportrait
Tommaso di Ser Giovanni di Mone Cassai dit Masaccio est né en 1401 à San Giovanni Valdarno, près d'Arezzo, dans une famille de menuisier, mais de fils de notaire, ce qui lui vaut certainement son nom de famille "di Mone Casai" (le coffre à monnaie en toscan de l'époque), associant la notion de menuisier à celui de notaire. Brunelleschi a alors déjà 24 ans, et Donatello, 15 ans. A eux trois, ils vont être les pionniers de la Première Renaissance, réciproquement en peinture, en architecture et en sculpture. Il s'éloigne de l'art gothique et ouvre la voie à la peinture moderne et au naturalisme.
Son père meurt alors que Tommaso n'a que 5 ans, en 1406, l'année où naît son jeune frère, Giovanni (qui deviendra peintre lui aussi). Sa mère, Monna Jacopa di Martinozzo, se remarie à Tedesco del Maestro Feo, un marchand d'épices, veuf et bien plus âgé, qui garantit à la famille un niveau de vie confortable.
Après la mort de Tedesco, il s'installe à Florence en 1417, avec sa mère et son frère, qui vivront avec lui jusqu'à sa mort. Il entre dans l'atelier de Bicci di Lorenzo, où il se familiarise avec les œuvres de Donatello et Brunelleschi.
En 1419, il est déjà reconnu comme dipintore, c'est-à-dire peintre, à Florence[1]. Le 7 janvier 1422, il est inscrit à l'Arte dei Medici e Speziali.
Aujourd'hui, on ne conserve que très peu d'oeuvres de Masaccio. Principalement la "Trinité" dont nous avons déjà parlé, à Santa Maria Novella, le polyptique de Pise, un retable démembré au XVIe siècle, et surtout ces magnifiques fresques de la chapelle Brancacci, peintes en collaboration avec Masolino da Panicale, et en partie restaurées et complétées après 1480 par Filippino Lippi. Et toujours selon Vasari "tous les peintres et sculpteurs qui sont venus étudier dans cette chapelle et y prendre des copies, sont devenus des maîtres éminents, tels que Fra Giovanni de Fiesole (Fra Angelico), Filippino Lippi qui la termina, Michel-Ange, Raphael d’Urbino, Léonard de Vinci et quantité d’autres, Florentins et étrangers".
Dans son livre sur "Les vies des plus excellents peintres, sculpteurs, et architectes", Vasari entame son chapitre sur Masaccio en écrivant :
"À Masaccio appartient l’honneur d’avoir ramené l’art de la peinture dans la bonne voie. Considérant que la peinture n’est autre chose qu’une contrefaçon de tout ce que la nature présente de vivant, simplement à l’aide du dessin et des couleurs, il comprit que celui qui s’en approche le plus peut se dire maître excellent. Grâce à de continuelles études, il acquit de telles connaissances qu’il peut être compté parmi les premiers qui débarrassèrent l’art des duretés, des imperfections et des difficultés qui l’entravaient. Il donna à ses personnages, de belles et de nobles attitudes, du mouvement, de la fierté, de la vie et un certain relief vraiment propre et naturel, toutes choses que l’on ne rencontre chez aucun des peintres qui l’ont précédé. Comme il eut un jugement excellent, il reconnut que toutes les figures qui n’étaient pas posées d’aplomb (*), avec leurs pieds à plat sur le sol, mais qui se tenaient sur la pointe du pied, manquaient de toute bonté et de style dans leurs parties essentielles et que ceux qui les faisaient montraient ainsi ne pas entendre les raccourcis (°) ni la perspective."
(*) Masaccio, qui a suivi des cours chez Brunelleschi, est le premier peintre à maîtriser la perspective. Il est le premier à maîtriser le raccourci (°) qui est un procédé de peinture comprimant les objets (les raccourcissant) quand ils sont vu de l'avant vers l'arrière, comme l'oeil humain les perçoit.
Les pieds surtout posaient des problèmes de représentation dans la peinture gothique, car on les représentait proportionnellement au reste du corps en stature debout. De ce fait, lorsqu'ils étaient dessinés vers l'avant ou de trois quart, ils étaient trop longs pour l'observateur, et le personnage donnait l'impression d'être sur la pointe des pieds. Voici, ci-dessous un détail d'une des fresques de Masaccio dans la Chapelle Brancacci (à gauche) par rapport à des représentations de l'époque gothique, dans les trois figures de droite :
Les fresques
Paroi gauche | Centre | Paroi droite | ||||
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Vierge | ![]() |
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Masaccio | Masaccio | Masolino | à | Masaccio | Masaccio + Masolino | Masolino |
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l'Enfant | ![]() |
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Lippi | Masaccio + Lippi | Masaccio | Masaccio | Lippi | Lippi |
Adam et Ève

Adam et Ève
à gauche: Masaccio: Adam et Ève chassés de l'Eden
à droite: Masolino: le Péché Originel.
« Tradition avec Masolino…
Les deux Adam et Ève respectivement de Masolino et de Masaccio sont représentés en haut des piliers, face à face. Les artistes, déjà dans la composition de la chapelle, semblaient vouloir opposer deux conceptions, deux interprétations, deux styles, deux temps : un grand respect de la tradition avec Masolino et la modernité renaissante avec Masaccio.
Ainsi, Masolino représente très fidèlement le texte biblique : "Alors Iahvé Elohim planta un jardin en Éden, à l’Orient, et il y plaça l’homme qu’il avait formé. Iahvé Elohim fit germer du sol tout arbre agréable à voir et bon à manger, ainsi que l’arbre de vie au milieu du jardin et
l’arbre de la science du bien et du mal […] Alors la femme vit que l’arbre était bon à manger, qu’il était agréable aux yeux et que l’arbre était plaisant à contempler et désirable pour acquérir le discernement. Elle prit de son fruit et en mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec
elle et il en mangea."
L’arbre, dont Ève a détaché le fruit et qui surplombe les deux personnages, est un figuier dont on reconnaît les feuilles lobées caractéristiques. D’après la description de la scène par Cavalcaselle (1), il apparaissait une abondance de feuilles qui ont totalement disparu : " Les rameaux fleuris et chargés de fruits s’étirent sur l’azur du ciel, formé par le paradis terrestre, dont le fond et aussi les personnages ont perdu une partie de leur fraîcheur de coloris". En outre, la fresque perpétue triplement la tradition iconographique picturale et sculpturale. D’abord, le jardin où sont placés Adam et Ève, à la manière du premier pilier de la cathédrale d’Orvieto qui figure La vie de l’Homme après le péché originel. Ensuite, il est fort probable que la tradition consistant à identifier le figuier avec l’arbre du bien et du mal soit méditerranéenne et orientale, là où celle de la "pomme" vient au contraire des cultures nordiques, par le truchement des influences plus tardives du gothique international. Selon la symbolique, le figuier exprime la science religieuse et l’abondance, tel est son côté solaire, mais il a sa dimension nocturne : desséché, sans feuille, il devient l’arbre mauvais, souvent assimilé à la Synagogue qui a refusé de reconnaître le Messie ou aux sectes et églises hérétiques. Après la Chute, Adam et Ève couvriront leur nudité désormais coupable de feuilles de figuier, contribuant ainsi à la nudité de l’arbre. Enfin, l’utilisation du serpent comme symbole du Mal est courante, mais Masolino la renforce en lui donnant le visage d’Ève, la femme pervertie, la tentatrice, la séductrice qui porte son regard sur Adam.
Cet épisode, contrairement à celui peint par Masaccio sur le mur opposé, s’appuie donc sur l’iconographie traditionnelle la plus courante de son époque et les deux personnages reflètent, dans leurs gestes et leur attitude, ce climat doux, serein et courtois. Masolino pare en effet Adam d’une beauté très pure et d’un grand classicisme. Et le personnage d’Ève a une plasticité onirique et une lumière nacrée qui peuvent rappeler une statue classique. R. Longhi écrit : " C’est sur ce point que le naturalisme de Masolino et celui de Masaccio apparaissent en fait comme deux idéalismes aussi opposés et inconciliables que la façon dont la prétendue nature se préfigurait dans leurs esprits était différente (2)."
L’opposition n’est pourtant pas totale. Chez Masolino tout comme chez Masaccio, les deux personnages obéissent à la tradition qui veut que les personnages masculins aient le teint de la peau plus intense et plus sombre, là où les personnages féminins l’ont clair et diaphane. Il
est donc fructueux de considérer le mur qui fait face et la célèbre fresque révolutionnaire de Masaccio.
… et modernité avec Masaccio
On imagine difficilement le choc qu’a pu constituer la représentation expressionniste, sans vouloir être anachronique, chez les spectateurs de l’époque habitués aux Adam et Ève à la beauté onirique, irréelle et « aquotidienne » ; bref, immaculée au sens religieux (qui est sans tâche de péché). Ici, contrairement à Masolino, Masaccio représente le temps qui suit le péché : l’expulsion du paradis terrestre.
La scène a été placée d’emblée vis à vis d’Adam et Eve au paradis et la tentation de Masolino. Sont ainsi clairement opposés le caractère dramatique concret et synthétique des corps de Masaccio caractéristiques de la nouveauté « renaissante », et le manque de présence psychologique des personnages de Masolino, typiques du « gothique tardif ». Cette scène consacre ainsi l’art de Masaccio comme rupture avec le passé et la tradition gothique qui était pourtant encore appréciée à Florence dans ces mêmes années.
Malgré son péché dont il a entièrement conscience, Adam n’a pas perdu sa dignité. Il n’est ni avili ni ramené au rang de la brute : il a conservé sa beauté qui elle aussi oscille entre les archétypes de beauté classique idéale, selon le modèle d’Apollon, et un nouveau registre
d’expression inventé par Masaccio. Si le peintre emprunte et fait référence à l’Antiquité, ce n’est jamais une pâle copie : toute inspiration est détournée et obéit à son style révolutionnaire. Ainsi, pour le personnage d’Ève, Masaccio s’est inspiré du type gréco‐romain de la "Vénus pudique (3)", tel qu’on le trouve déjà dans les modèles du XIVe siècle comme La Tempérance sculptée par Giovanni Pisano pour la
chaire de la cathédrale de Pise (4). Mais l’Ève de Masaccio n’a de la Vénus pudique que le geste. Pour le reste, son corps est lourd et déformé, et elle incarne toute la douleur du monde par son visage levé vers le ciel de désespoir et son attitude dramatique. Pour le personnage d’Adam, le
torse grandiloquent de l’Apollon du Belvédère "a pris son épaisseur de chair et de sang (5)"
Enfin, certains ont vu des rapports, qui restent très discutables, avec le Laocoon, le Supplice de Marsyas, ou encore les postures anatomiques visibles dans La Crucifixion de Donatello à Santa Croce. Il est en tout cas certain que Masaccio donne à Adam et Ève la puissance des statues
antiques. Henri Focillon en donne une belle description : "Entre Masolino da Panicale et Masaccio, presque contemporains et collaborant à un même ensemble, on croirait qu’il y a l’écart de deux générations, Masolino est un maître, ses fresques à peu près effacées de Castiglione d’Olonna ont encore, dans quelques traits épargnés, la poésie de leur insidieuse pureté, ses figures d’Adam et d’Ève, à la chapelle Brancacci, respirent le charme des beaux nus d’Italie à l’époque qui précède la maturité historique, mais Masaccio a le poids des draperies, la lenteur des rythmes, le calme de l’espace entre les figures et cette richesse de substance qui, sans bossuer le mur, donne à la peinture la pleine et paisible autorité de la statuaire (6)"
Mais il faut retenir que le travail d’élaboration à partir de l’Antiquité et de toute la culture immédiatement précédente et contemporaine a permis à Masaccio de composer une œuvre absolument originale : c’est‐à‐dire fidèle à l’origine, à la tradition, et en même temps distincte. Masaccio a ainsi totalement inventé l’ange représenté en raccourci et en vol, qui est saisi au moment même où il plane sur un nuage de feu aussi rouge que son vêtement. Là réside, en plus de l’expressivité des deux protagonistes, la très grande innovation créatrice de Masaccio, qui fait de lui un révolutionnaire dans le domaine des arts. Comme écrivait Maurice Blanchot "toute œuvre est en souci de l’art", on peut dire que l’Adam et Ève de Masaccio est "en souci" de l’histoire de l’art et de la tradition.
Cette fresque splendide témoigne d’une réelle dynamique d’ensemble dirigée vers la droite, grâce au décor. À gauche, la fente haute, étroite et marquée d’ombre, indique la porte du Paradis, vue de biais en raccourci dans un espace restreint. Elle laisse échapper des rayons dorés pour exprimer clairement la volonté divine qui chasse l’homme après le péché. La sentence de bannissement est comme renforcée par l’ange armé qui indique de sa main gauche le chemin du monde. À l’extérieur du paradis, dans un espace aride et dépouillé, deux collines semblent accompagner le mouvement des deux personnages : celle de gauche à la pente rapide suit le mouvement de l’arrière de la jambe gauche d’Adam ; celle de droite plus arrondie semble prolonger le rayon fulgurant de lumière et renforcer la dynamique même de l’expulsion voulue par la force divine inexorable. Il reste peut‐être encore un espoir signalé par le fait que tout deux marchent vers la lumière, qui, venant de droite, projette l’ombre de leurs corps (7)
Et les figures si vivantes d’Adam et Ève, obligées d’affronter leur destin, dévoilent déjà l’image d’un homme de la Renaissance agissant dans son entière responsabilité. Homme dans le monde à la recherche du savoir et de la vérité, il doit agir et déterminer son existence, à présent que le temps des désolations et des remords est passé. D’une certaine manière c’est la perte de l’innocence qui l’a rendu libre et responsable, de lui et du monde.
L’analyse comparée des Adam et Ève de Masolino et de Masaccio permet de prendre conscience de l’équivocité de la dénomination « Renaissance » pour la période historique. Si renaissance il y a eu – ce qui est fort discutable lorsqu’on voit la richesse et le rôle joué par le Moyen Âge –, elle ne fut pas singulière mais plurielle. Erwin Panofsky a démontré dans La Renaissance et ses avant‐courriers dans l’art d’Occident que contrairement à l’immédiateté d’une naissance, la rupture avec le Moyen Âge a été moins radicale qu’on s’est plu à le dire jadis. Cette thèse sera partagée par feu Jean‐Claude Margolin, auteur érudit universellement reconnu, qui a consacré sa vie à l’étude de l’humanisme de la Renaissance (8) . Plutôt qu’une Renaissance, il y a eu plusieurs renaissances comme le montre très bien Masaccio qui, à lui seul, constitue un tournant vers l’expressivité, dans l’Histoire des Arts.
Georges Lafenestre exprime clairement la pertinence d’une analyse comparée des deux fresques pour mettre en valeur la modernité de Masaccio : "Que l'on compare, pour la poésie de la conception, pour la correction et pour la plénitude des formes, pour l'intensité de l'expression, l'Adam et Ève du maître dans le Péché originel et l'Adam et Ève de l'élève dans l'Expulsion du Paradis terrestre, on sentira, du premier coup d'œil, la grandeur du progrès accompli (9). Tout est dit. » (10)
1. Giovanni Battista Cavalcaselle (1820‐1897) est un historien de l’art célèbre pour ses études sur la peinture italienne, et avec J. A. Crowe comme pionnier de la forme moderne de l’histoire de l’art.
2. R. Longhi, « Fatti di Masolino e di Masaccio », in La Critica d’Arte, 3‐4, 1940, pp. 145.
3. Umberto Baldini et d’Ornella Casazza, La Chapelle Brancacci, Gallimard/Electa, 1991.
4. Umberto Baldini et d’Ornella Casazza, ibidem.
5. P. Bocci Pacini, « Nota archeologica sulla nascita de Venere », in Gli Uffizi, Studi e Ricerche, n°4, 1987, p. 22.
6. H. Focillon, Art d'occident, tome 2, « Le Moyen Âge gothique », Paris, 1965, Librairie Armand Colin, p.373.
7. Rolf C. Wirtz avec des textes de Clemente Manenti, Florence, Art & Architecture, H. F. Ullmann, 2005.
8. J. Cl Margolin, Anthologie des humanistes européens de la Renaissance, Folio Classique, 2007.
9. Georges Lafenestre, La peinture italienne, Paris, Éd. Quantin.
10. Le texte c-dessus est entièrement extrait d'un travail de thèse de Guilhem Monédiaire à l'Université Clermont Auvergne.
À cette très bonne et très exhaustive comparaison des deux "Adam et Ève" qui se font face à l'entrée de la Chapelle Brancacci, je voudrais apporter quelques commentaires personnels.
Tout d'abord, comme je l'ai déjà dit plus haut, et à l'inverse de ce que dit Guilhem Monédiaire ci-dessus, il n'y avait pas de relation de maître à élève entre Masolino et Masaccio, même si le premier était de 18 ans plus âgé que le second. Certes, Masolino, déjà connu et reconnu sur la place, a apporté les premières commandes de Masaccio, qu'il n'aurait sans doute pas décroché lui-même, vu sa jeunesse et le fait qu'il était encore peu connu. Mais il n'y a jamais eu de relation d'apprentissage. Ils ont travaillé de concert, mais le contrat stipulait bien une collaboration à 50/50, et leur style pictural est si différent dès le début, qu'il est impossible d'imaginer que Masaccio ait tiré un quelconque apprentissage de Masolino. Il a bien du recevoir un apprentissage antérieurement. De qui ? Cela demeure un mystère. Il a probablement acquis la technique picturale de peintres de son village, et il a sans nul doute bénéficier des conseils et de l'observation des travaux de Brunelleschi et de Donatello. Pour le reste, je pense que Masaccio était en grande partie un autodidacte et un visionnaire.
Toutefois, il faut aussi reconnaître le talent, trop souvent sous-estimé, de Masolino. Bien sûr, il reste classique, en ce sens qu'il est dans la continuité du gothique international. L'inexpressivité de ses personnages d'Adam et Ève, à un moment pourtant critique, montre bien la continuité avec la peinture gothique. Certes, on retrouve des erreurs que ne fait plus Masaccio, et qui étaient habituelles jusque là : ils semblent flotter au-dessus du sol. Les raccourcis ne sont pas compris. Il suffit de voir comment la main gauche d'Adam est disproportionnée par rapport à sa main droite. En face, chez Masaccio, on trouve un extraordinaire (pour l'époque) raccourci de l'ange. Mais je ne peux m'empêcher d'admirer le "disegno" (le dessin), les belles couleurs pastel et la finesse des ombres. Ça me fait déjà un peu penser aux madonnes de Raphaël. Et les corps, idéalisés certes, s'écartent de la naïveté gothique. On y retrouve l'inspiration de la statuaire antique. Ils sont même carrément érotisés. Ce qui n'était pas commun.
Un dernier détail : les ombres sont inversées dans les deux fresques. Dans la fresque de Masaccio, la lumière vient de la droite. Elle vient de la gauche dans celle de Masolino. La lumière vient de la fenêtre située au-dessus de l'autel. Cette source de lumière naturelle est respectée dans l'ensemble des fresques. C'est particulièrement visible dans la fresque de Masaccio, sur le bas du mur du fond, à gauche de l'autel, où Saint Pierre guérit les malades avec son ombre.
Le paiement du tibut
Si toute la Chapelle Brancacci représente un témoignage exceptionnel du passage au modernisme et de la transcription naturelle de la vie sur un support à deux dimansions, le Paiement du Tribut en est, sans aucun doute possible, l'oeuvre maîtresse qui est la principale cause de l'émotion qu'on ressent en visitant la chapelle.
Cette fresque qui occupe la quasi totalité de la partie supérieure du mur gauche fait environ 6m sur 2,5m et a été entièrement peinte pa Masaccio, sans presque aucune dégradation majeure depuis lors, si ce ne sont les couleurs altérés par la chaleur de l'incendie, et restaurées dans les années 1980. Cette fresque à elle seule marque radicalement un changement d'époque, un changement dans l'art de peindre.
Mettons d'abord la fresque dans son contexte. Cette fresque s'inspire de l’Évangile selon Matthieu (17: 24-27) : « lorsque le Christ et ses apôtres atteignent la ville de Capharnaüm, un percepteur leur réclame un tribut pour entrer dans la ville. Le Christ s’adresse alors à saint Pierre : […] va en mer, lance un hameçon et remonte le premier poisson qui aura mordu. Dans sa gueule, tu trouveras une pièce de quatre drachmes. Elle te servira à payer ton dû et le mien. Et ainsi Pierre s’acquitte du tribut ».
On trouve ici un unité de lieu et d'espace. Par "lieu", j'entends l'espace géographique où se passe l'histoire (la ville, le pays) et par espace, j'entends l'endroit où se passe exactement l'action, avec les mêmes éléments de décor. Pour nos contemporains, cela semble évident, mais ce ne l'était pas à l'époque, où une fresque à vocation historique traçait dans une seule image, l'histoire racontée en y faisant varier lieux, temps et espaces.
Toutefois, on n'y trouve pas encore une stricte unité de temps, puisqu'on y voit trois groupes, que le percepteur est présent dans deux d'entre eux, et Saint Pierre dans les trois.
Dans l'espace central, le plus large, le percepteur demande au Christ de payer le tribut pour pénétrer dans la ville de Capharnaum. Le Christ, de façon sereine indique l'eau du lac à Saint Pierre, lui indiquant d'aller y ouvrir la gueule d'un poisson. Saint Pierre reprend le geste, mais d'un air dubitatif (sourcils froncés) pour se faire confirmer l'ordre qui lui semble invraisemblable. Plus loin, à gauche, on retrouve Saint Pierre, accroupi, le visage rougi par l'effort, et surtout bien plus petit car plus éloigné (perspective nouvelle !) et le buste en raccourci, ouvrant la gueule d'un poisson, et enfin à droite, et à l'avant plan, on rtrouve encore Saint Pierre, payant cette fois le tribut au percepteur.
Il n'y a donc pas encore unité de temps. Mais ce n'était pas encore une évidence pour Masaccio. La fresque est immense, et on ne peut pas tout regarder d'un seul regard. Il faut que les yeux se déplacent. Et entre le moment où on a admiré un des sujets et qu'on se déplace vers le suivant, du temps s'écoule. Le voici donc ce temps qui passe. L'unité de temps sur une même fresque n'apparaissait pas comme une nécessité. L'observateur reconstituait l'histoire en déplaçant son regard.
La fresque du Tribut a été exécutée en 32 "giornate (*)" de travail. Dans cette œuvre, la technique de Masaccio est plus évidente que jamais, car il compose les figures de manière synthétique, construisant les volumes par la juxtaposition de la lumière et de la couleur. Masaccio, avec ses fonds blancs et ses reflets rapides, modelait les figures rapidement et précisément, leur donnant une proéminence plastique jamais vue auparavant, qui les fait ressembler à des statues peintes monumentales. Masaccio a ainsi opéré une véritable révolution picturale, que seuls quelques-uns de ses disciples ont su comprendre et mettre en œuvre (le principal ayant été Filippo Lippi, le père de Filippino, qui terminera les fresques 50 ans plus tard).
(*) la gioranata correspondait à la partie de la fresque enduite de plâtre frais. Car la fresque signifiant qu'on peignait a fresco (à frais) était exécutée en appliquant les pigments sur le plâtre frais, afin que ces pigment y pénêtre, gage de stabilité et de durabilité des couleurs. La couche sur laquelle on appliquaient le pigments n'étaient que de quelques millimètres d'épaisseur, et était précédée d'autres couches, d'abord pour assurer un support solide et plat, par rapport au mur de pierres sur lequel elle était apposée, puis par une couche sur laquelle on dessinait la sinopia, le dessin des contours et ombrages, le plus souvent exécuté au charbon de bois, qui allait par transparence, servir de guide à l'application des couleurs.
Une giornata corresponadait en théorie à la quantité de plâtre frais nécessaire à une journée de travail. Mais plus exactement, à la surface qui allait être peinte d'un seul tenant. La surface couverte par une giornata indique la viesse d'exécution de l'artiste
Le Christ est à la fois le centre géométrique et spirituel de la scène. Sa tête est doucement ombragée, contrairement à celle des apôtres, qui est durement ombragée (voir point 2 ci-dessous).
Le groupe central, avec sa disposition semi-circulaire caractéristique, s'inspire probablement du groupe sculptural des Quatre Saints Couronnés de Nanni di Banco à Orsanmichele, et pourrait également dériver des premières compositions chrétiennes du Christ parmi les Apôtres.
Le groupe des apôtres apparaît disposé de manière cohérente dans l’espace autour du Christ et leur regroupement semble vouloir réaffirmer la volonté de l’homme et sa centralité. À partir de ce demi-cercle solide, l’espace s’étend vers l’extérieur.
Dans le groupe des apôtres, on remarque surtout la figure de droite, vêtue de vêtements couleur lie-de-vin, dont les traits apparaissent très bien définis. Selon Vasari, il s'agit d'un autoportrait de Masaccio, tandis que d'autres l'indiquent comme un possible portrait du mécène Felice Brancacci.
Les deux figures monumentales de Pierre et du publicain à droite sont solidement plantées au sol et on peut presque percevoir leur masse plastique parfaitement développée par le clair-obscur.
La construction scénique dans laquelle se déroulent les trois parties de la scène est également très importante. Tout est régi par la perspective et l’observation naturaliste, qui créent un paysage vivant et réaliste comme jamais vu auparavant en peinture. À droite se trouvent les murs complexes de la ville composés de jeux contrastés entre vides et pleins, le point de fuite vers lequel convergent les lignes se situe exactement sur la tête du Christ, qui devient ainsi le point d'appui de toute la représentation. Au delà de cela, Masaccio unit les personnages du groupe central dans une même unité d'action en plaçant tous leurs visages sur une même ligne orizontale, passant donc par le point de fuite, et situé exactement à mi-hauteur de la fresque.
Trois points importants à noter ici :
- L'entrée de la ville de Capharnaum est représentée par quelques éléments d'architecture, contemporains à Masaccio. Il sont principalement là pour accentuer la perspective. Et les arcades rapellent immédiaement autre chose qu'a pu observer Masaccio, et dont il s'est manifestement inspiré ; les arcades figurées sur la droite de la prédelle du Saint Georges de Donatello, déjà à Orsanmichele depuis une dizaine d'années, et qui lui ont aussi servi à marquer son relievo schiacciato.
- Si toute la fresque est peinte par Masaccio, un élément, et non des moindres, a été peint par Masolino : la tête (et la tête seule) du Christ. C'est aujourd'hui l'avis unanime des historiens d'art. Les ombres y sont plus douces que le clair-obsurt des visages des âpotres. Il a aussi été fait remarquer que la tête du Christ ressemblait à celle d'Adam dans le Péché Originel de Masolino. On pense que les deux artistes ont voulu ainsi marquer une filiation entre Dieu et le premier homme, qui, selon la Bible, a été fait à son image. Il est vraisemble que Masaccio ait expressément demandé à Masolino de peindre cette tête pour être conforme au texte biblique.
- Le décor montagneux : si la première montagne est dessinée avec de nombreux détails peints avec précision, les suivantes en comportent de moins en moins et leurs couleurs grises et leurs traits sont de plus en plus estompés. Il me parait évident que Masaccio a déjà perçu l'influence de l'air sur la dissipation de la lumière, allant en s'intensifiant en s'éloignant de la scène de l'avant-plan. Et ça, ce sera définitivement mis brillament en application lorsque Léonard de Vinci donnera la primauté à la perspective atmosphérique plutôt qu'à la perspective géométrue, grâce à son fameux sfumato.
L'iconographie liée au Paiement du Tribut
Toute l'histoire dépeinte sur les fresques de la Chapelle Brancacci s'appuient sur le chapitre LXXXIX, dédié à Saint Pierre, de la Légende Dorée de Jacques de Vorajine. Le Paiement du Tribut est un moment clé. Ce n'est pas Jésus qui paie le Tribut mais Pierre. C'est le moment de la passation de pouvoir. C'est Pierre qui est choisi pour perpétuer l'oeuvre chrétienne sur Terre (premier paragraphe : "c’est lui qui trouva la pièce de monnaie dans la bouche du poisson ; c’est lui qui reçut du Seigneur les clefs du royaume des cieux, qui fut chargé de paître les agneaux du Christ").
La volonté de Masaccio était double : honorer la commande en peignant des épisodes de la vie de Saint Pierre, mais il voulait en outre, de façon masquée, pour échapper à la censure, transcrire des éléments de la vie politique et sociale de Florence à son époque. A Florence, cela rappelait très probablement l'institution imminente du cadastre, qui aurait lieu peu après (1427) (*), mais qui était déjà dans l'air, unanimement accueillie par les dirigeants florentins en 1424-1425 : de même que le Christ accepte la logique terrestre du paiement d'un tribut, de même les citoyens devaient se soumettre à l'obligation civique de payer les impôts requis.
(*) Comme évoqué plus haut, c'est ce cadastre qui allait permettre de connaître avec précision la population de Florence en 1427. Elle était de 37000 habitants, alors qu'elle était de 120000 au début du XIVe siècle. La peste noire de 1348 et ses nombreux rebonds était passée par là.
La résurrection du fils de Théophile & Saint Pierre en chaire
Avec l'expulsion du commanditaire, Felice Brancacci, de la ville comme anti-Médicis (1436), les fresques furent définitivement interrompues et les portraits de la famille Brancacci en partie mutilés, dans une sorte de damnatio memoriae. Ce n'est qu'une cinquantaine d'années plus tard, en 1480, qu'elles furent achevées par Filippino Lippi, qui tenta d'adapter son art au style de la première Renaissance. On ne sait pas si Masaccio a laissé le panneau incomplet ou s'il a été mutilé après l'expulsion de la famille Brancacci. Les quelques témoignages suggèrent la deuxième hypothèse, comme cela semble également être le cas à en juger par la rangée de têtes repeintes par Filippino où auraient dû se trouver les portraits de Felice et de sa famille, greffés sur des robes de Masaccio.
Le registre inférieur fut cependant le dernier à être achevé et il y a une rupture nette due à l'absence de Masolino, à l'évolution du style de Masaccio (qui commença à y travailler après avoir été à Pise) et, évidemment, à l'intervention de Filippino.
La scène, épargnée de la repeinture baroque de la voûte, ressort noircie par l'incendie de 1771 qui détruit une grande partie de la basilique. Ce n'est qu'avec la restauration de 1983-1990 qu'il a été possible de retrouver la couleur brillante d'origine et d'éliminer les repeintures.
Cette grande scène sur la partie inférieure du mur de gauche représente deux événements de la vie de Saint Pierre qui se sont déroulés à Antioche, racontés non pas dans les Évangiles, mais dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. La légende raconte que lorsque Pierre était en train de prêcher dans la ville, il fut arrêté et forcé de manger du pain et de l'eau par le gouverneur Théophile. A cette occasion, Saint Paul alla lui rendre visite en prison (scène dans la fresque de gauche de Filippino Lippi sur le mur d'en face). Paul alla alors supplier le gouverneur de libérer Pierre, mais le gouverneur le défia, promettant de le faire seulement si l'apôtre emprisonné démontrait ses pouvoirs surnaturels en ressuscitant son fils, décédé quatorze ans plus tôt. Pierre fut alors emmené au tombeau de l'enfant, où il le ressuscita miraculeusement. Suite à cet événement, toute la population d'Antioche se convertit au christianisme et une magnifique église fut construite, la première sur le trône (la chaire) de laquelle Pierre pouvait s'asseoir et être entendu de tous. L’événement était donc un avant-goût de sa future ascension au trône papal à Rome.
La fresque est à moitié de Masaccio et à moitié de Filippino Lippi. D'une manière générale, les mains des deux artistes sont clairement reconnaissables, notamment dans les portraits, mais il subsiste quelques zones limites sur lesquelles les chercheurs ne sont pas d'accord.
Le rôle de Masaccio
Masaccio a peint la scène centrale, depuis le personnage assis au manteau bleu jusqu'aux têtes superposées derrière Saint Pierre, à l'exclusion de l'homme vêtu de vert. Le palais en arrière-plan et la figure de Pierre, à l'exception des pieds et du bras bénissant (on voit clairement la césure entre la partie du ras de Masaccio et le reste du corps restauré par Filippino Lippi), sont l'œuvre de Filippino. Masaccio a également peint une grande partie de la scène à droite où Saint Pierre est sur la chaire, des moines carmélites à Pierre, et jusqu'à la fin.
Théophile trône dans une niche du mur, entouré de quelques dignitaires, tandis que la scène de la résurrection se déroule devant lui. Le gouverneur, que certains ont lu comme un portrait du terrible ennemi de Florence, Gian Galeazzo Visconti, est habillé comme un empereur byzantin, avec sceptre, orbe et sandales rouges. Le personnage assis de profil à côté de lui, vêtu de bleu, serait alors le chancelier de la république de Florence Coluccio Salutati.
Il est fort probable que la scène ait été peinte en grande partie par Masaccio, mais la présence de personnages anti-Médicis ou autrement gênants avait rendu sa démolition partielle nécessaire. Dans le groupe central et dans celui de gauche, il devait y avoir de nombreux portraits de la famille Brancacci, qui furent démantelés avec le bannissement définitif de la famille de la ville, car ils furent déclarés anti-Médicis. Particulièrement emblématique est la repeinture de certaines parties de Saint Pierre au centre qui, avec son visage presque de profil, était peut-être à l'origine tourné plus en arrière, avec un espace plus grand en profondeur, comme dans le Paiement du Tribut. Les figures étaient peut-être à l'origine plus clairsemées et peut-être que le tombeau ouvert, raccourci en profondeur, aurait pu être trouvé au centre, au lieu des ossements dispersés peu convaincants de la scène peinte par Filippino. Même la repeinture des pieds du saint était peut-être nécessaire pour s'adapter à la rotation artificielle de sa figure vers la droite.

Saint Pierre sur la chaise montre la grande capacité de Masaccio à modeler des figures en relief grâce à l'utilisation vigoureuse de champs de couleur et de reflets contrastés, qui donnent un relief sans précédent aux peintures. Saint Pierre est représenté sur la chaire, nettement plus haute que le trône de Théophile, et est concentré en prière, imperturbable face aux personnages agenouillés autour de lui en train de prier. Le groupe à l'extrême droite montre très probablement l'autoportrait de Masaccio (qui regarde le spectateur de travers) (°), Leon Battista Alberti (à côté de lui de profil), Filippo Brunelleschi (avec sa capuche) et Masolino (à gauche) ; le jeune carme debout à droite du plus âgé pourrait être un portrait du jeune Filippo Lippi, un des premiers élèves de Masaccio et père de Filippino.
Lors de la restauration, on a découvert que Filippino avait couvert un bras et une main de la figure que l'on croit être un autoportrait de Masaccio, qui était en train de toucher le saint : le geste, qui était censé paraître irrévérencieux, pourrait en fait être une reconstitution de l'acte de dévotion que les pèlerins accomplissent au pied de la statue en bronze de Saint-Pierre sur la chaise d'Arnolfo di Cambio dans la basilique Saint-Pierre au Vatican. Le geste pourrait donc être interprété comme le témoignage figuratif d'un pèlerinage effectué par Masaccio, avec Brunelleschi et les autres artistes qui l'entouraient à Rome avant l'achèvement de la fresque.
Les architectures latérales sont certainement attribuées à Masaccio, qui a résolu le problème séculaire des rapports de taille entre les bâtiments et les figures du premier plan : Masaccio a placé ces structures en avant afin de rendre les dimensions, au moins des rez-de-chaussée, suffisamment grandes et cohérentes pour les figures.
La partie de Filippino Lippi
La plupart des chercheurs s'accordent à attribuer à Filippino, dans cette fresque, la repeinture de certaines parties qui, dans une sorte de damnatio memoriae, avaient été détruites après l'exil de Felice Brancacci et de sa famille (1436, définitive à partir de 1458). S'il paraît improbable que Masaccio ait laissé une scène aussi importante incomplète (sans détails fondamentaux comme l'enfant ressuscité), encore plus inexplicable serait la repeinture par Filippino de certaines parties individuelles des personnages : une tête ici, un bras là, un portrait laissé sans corps.
En fait, quatre des cinq Florentins de gauche appartiennent à Filippino, même si la quatrième tête en partant de la gauche est attribuée à Masaccio, peut-être un portrait du cardinal Branda Castiglione, dont Filippino a complètement oublié de peindre une paire de pieds. Le groupe central est également de lui, depuis le Saint Paul agenouillé jusqu'à l'homme debout de profil, au bonnet bleu, en passant par l'enfant ressuscité, le bébé et les autres personnages. Il intervint également sur les visages de Théophile et sur ceux des personnages qui se trouvaient devant lui. Filippino aurait peut-être déplacé la figure du garçon vers l'avant, encombrant l'espace de figures debout non prévues par Masaccio.
Le garçon ressuscité est indiqué par Vasari comme un portrait du futur peintre Francesco Granacci à l'âge de quinze ans, ce qui permettrait, en calculant son âge, de dater l'intervention de Filippino vers 1485.
Dans le groupe central et dans celui de gauche, Filippino peint les portraits des membres des grandes familles de l'Oltrarno à l'époque de Laurent le Magnifique : les Soderini, les Pulci, les Guicciardini, les del Pugliese, ainsi que d'autres notables du cercle des Médicis.
On ne sait pas dans quelle mesure Lippi a réinventé les scènes, même si dans certains cas il semble avoir essayé de conserver autant de pièces de Masaccio que possible, comme la tête isolée à gauche. Certes, le point de fuite de la scène ne mène à aucun personnage principal (il s'agit de la tête de l'homme avec l'enfant), contrairement à ce qu'avait fait Masaccio dans le Tribut.
Les parties incertaines
L'architecture est généralement attribuée à Masaccio, du moins en ce qui concerne les bâtiments latéraux, tandis que la paternité du mur avec des plaques en marbre au-delà duquel on peut voir des arbres et des vases est plus incertaine. Si elle a été peinte par Masaccio, comme semble le confirmer le diagramme des « giornate » de la fresque, elle serait le premier exemple d'une manière de fermer les fonds reprise quelques décennies plus tard par Fra Angelico, Domenico Veneziano, Andrea del Castagno, Alesso Baldovinetti et leurs successeurs respectifs.
Mais le style du mur est différent de celui connu des œuvres de Masaccio, avec la décoration des vases et des petits arbres dépourvue de toute fonction particulière, si éloignée de l'image qui s'est développée dans les études critiques de Masaccio comme peintre de l'essentiel. De plus, le mur est mal relié, tant à droite qu'à gauche, aux bâtiments latéraux. La technique, libre et fluide, rappelle davantage le style de Filippino, à l'époque duquel ce motif était déjà très répandu. S'il s'agissait de son œuvre, ce fond artificiel, qui semble surgir soudainement au-dessus des têtes, remplirait parfaitement la tâche de camoufler et de faire en sorte que ses modifications se fondent dans les structures de l'arrière-plan.
Certains croyaient pouvoir y identifier la main de Filippo Lippi, élève de Masaccio et père de Filippino.
Technique
Les fresques du registre inférieur sont moins achevées que celles du registre supérieur et trahissent une certaine précipitation de la part de Masaccio. Si auparavant la tête d'un protagoniste nécessitait une « giornata », désormais on peut trouver trois têtes dans la même, ce qui, dans le Paiement du Tribut, n'arrive que dans les figures mineures. Divers passages, dans les parties consacrées à Masaccio, dénoncent le recours à des aides, afin de procéder au plus vite.
La technique de Masaccio est assez reconnaissable, surtout dans ses portraits, en raison de l'utilisation de reflets blancs ou d'autres couleurs claires, qui ne sont pas présents dans le sfumato sophistiqué de Filippino Lippi.
(°) Je suis personnellement certain qu'il s'agit d'un autoportrai de Masaccio. Il n'y a aucune raison, sinon, de trouver ainsi un personnage regardant aussi intensément la personne observant le tableau. On retrouve la même chose chez Raphaël dans ses autoportraits, notamment dans L'École d'Athènes, dans les appartements pontificaux, ou il est l'un des personnages situés tout à droite du tableau. On retrouve cela aussi chez Caravage, dans son Petit Bacchus Malade. L'artiste doit se regarder dans un miroir pour peindre son autoportrait, et dès lors, il ne peut regarder que vers l'extérieur du tableau.
Le texte ci-dessus est en très grande partie repris de l'analyse de John T. Spike, Masaccio, Rizzoli libri illustrati, Milano 2002. L'historien américain, spécialiste de l'art italien du XVe siècle, a écrit dès 1995 une étude approfondie des fresques de la Chapelle Brancacci, cinq ans à peine après leur redécouverte grâce à leur restauration terminée en 1990.
Les fresques du mur du fond
Avec ces quatres fresques auxquelles il faut ajouter la grande fresque du haut du mur droit, attribuée à Masolino, on est dans la continuité du texte de la Légende dorée de Jacques de Vorajine : « c’est lui qui trouva la pièce de monnaie dans la bouche du poisson (Le Tribut) ; c’est lui qui reçut du Seigneur les clefs du royaume des cieux, qui fut chargé de paître les agneaux du Christ, qui ; le jour de la Pentecôte, convertit trois mille hommes (en haut à droite) par sa prédication (en haut à gauche), qui annonça la mort à Ananias (en bas à droite) et à Saphir, qui guérit le paralytique Énée (mur de droite), qui baptisa Corneille, qui ressuscita Tabitha (mur de droite), qui, par l’ombre seule de son corps, rendit la santé aux malades (en bas à gauche) » (Traduction de Théodore de Wyzewa - 1910). Seule la fresque de La Prédication est attribuée à Masolino. Le contraste dans la façon de peindre les visages ne laisse aucun doute. Chez Masolino, on retrouve les teintes et les ombres douces déjà évoquées dans le Péché Originel, contrastant avec les clair-obsur de Masaccio, et ses têtes semblant être en relief. Il a été dit que Masaccio faisait de la sculpture à deux dimensions. On constate aussi que Masolino ne maîtrise pas encore les nouveaux effets tridimensionnels apportés par la perspective : à nouveau, les pieds de Saint Pierre ne sont pas bien ancrés au sol. Il semble flotter. Les trois têtes de jeunes hommes derrière le saint sont probablement des portraits de contemporains, tout comme les deux frères à droite (ces deux-ci étant peut-être de la main de Masaccio).
Les deux fresques du haut sont dans la continuation du récit par rapport au Paiement du Tribut. Elles montrent bien comment les deux artistes travaillaient quand ils étaient ensemble (jusqu'au départ de Masolino pour la Hongrie en septembre 1425). Ils travaillaient sur le même échafaudage, d'abord placé à gauche. Tandis que Masaccio peignait le Paiement du Tribut, Masolino exécutais La Prédication de Saint Pierre. Cela leur permettait aussi de participer quand nécessaire au travail de l'autre. Ainsi, Masolino a peint la tête du Christ sur la fresque de Masaccio. Il a du au moins en dessiner la sinopia dès le tout début, pour que Masaccio puisse placer ses lignes de fuite qui convergent vers la tête du Christ. Et par ailleurs, dans La Prédication, on observe une continuité dans le décor montagneux d'arrière-plan, lequel a très vraisemblablement été peint par Masaccio.
Et quand ils ont déplacé leur échafaudage vers la droite, ils ont inversé leurs positions. Masaccio a peint la fresque du Baptême des Néophytes à la droite du mur du fond, tandis que Masolino a peint sa grande fresque double de la Guérison de l'Infirme et de la Ressurrection de Tabitha. Masaccio y a aussi participé, ne fut-ce que pour y placer les lignes de fuite, l'art de la perspective géométrique, et surtout arithmétique étant encore mal maîtrisé par Masolino.
Parmi ces quatres fresques du fond, la fresque qui fut le plus admirée est sans contestation le Baptême des Néophytes. Masaccio y montre une grande maîtrise, elle aussi révolutionnaire à l'époque, du traitement des corps. Le personnage agenouillé devant Saint Pierre est moderne à bien des égards, par son rendu mouillé, ses genoux immergés dans l'eau avec une parfaite maîtrise de la profondeur et le léger racourci de ses jambes. La trouvaille également du second personnage déshabillé, attendant son tour, et dans une attitude des plus naturelles pour montrer qu'il est transi de froid a été admrée par Vasari et bien d'autres après lui. un troisième personnage commence à se déshabiller, tandis qu'un quatrième, aux cheveux visiblement mouillés finit de boutonner sa tunique bleue. Les visages des deux personnages derrière Saint Pierre dénotent assez bien. Il a été avancé qu'ils seraient de la main de Filippino Lippi, qui aurait réparé deux portraient de membres de la famille Brancacci, vandalisés après leur exil. Le décor arrière complète le paysage montagneux (qui ici pourrait être du à Masolino), comme si tous les événements depuis Le Paiement du Tribut, se déroulaient en un même endroit, et se succédaient les uns aux autres. C'est une bande dessinée.
Les fresques du bas suivent la grande fresque du mur de droite de Masolino dans l'histoire racontée par Jacques de Voragine. Dans la fresque de Masolino, on voit pour la première fois Saint Jean l'Évangéliste accompagnant Saint Pierre lorsqu'ils guérissent l'infirme. Saint Jean y est peint de façon semblable à celui qui se trouve à la gauche de Pierre dans le Paiement du Tribut. Dans les deux fresques du bas, il continue à accompagner Pierre. S'il est semblable aux autres représentations à droite, il est très différent dans la fresque de gauche, où il est plus jeune et plus mince. Certains affirment que Masaccio a ici représenté son jeune frère Giovanni di Ser Giovanni dit Lo Scheggia (1406-1486), qui deviendra peintre lui aussi, et qui vivra beaucoup plus vieux, atteignant l'âge de 80 ans. L'homme au bonnet rouge serait, selon Vasari, un portrait de Masolino. D'autres pensent que l'homme au bonnet rouge serait plutôt Donatello, tandis que l'homme barbu ressemble à l'un des Rois Mages du Polyptyque de Pise de Masaccio.
Sous les marbres de l'ancien autel se cachait la partie la plus à gauche de cette fresque de gauche, avec la continuation en perspective de la rue vers une église avec une belle colonne corinthienne et un clocher. L'architecture se poursuit dans l'ébrasement des fenêtres avec un effet optique audacieux. Cette scène et la suivante (Distribution de l'aumône) sont liées par d'étroites relations formelles et perspectivistes, avec la coupe oblique des compositions se déroulant dans les rues d'une ville, vraisemblablement Florence, avec des bâtiments moyenâgeux. Certains ont même émis l'hypothèse que la rue dans cette scène, avec le bâtiment en pierres de taille et l'église en arrière-plan, est Borgo Albizi (et le San Pier Maggiore détruit, avec son clocher), où vivaient les alliés des Brancacci.
Viennent ensuite La Distribution des aumônes et la Mort d'Ananie de Masaccio, qui se déroulent aussi entre des bâtiments de style également moyenâgeux . Il illustre l'épisode d'Ananie puni parce qu'il refusait de mettre en commun ses profits de la vente d'un champ selon les coutumes des premiers chrétiens, en déclarant un faux revenu (son épouse Saphyre, complice d'Ananie, sera punie de façon identique dans un deuxième temps). Cet épisode peut également être lu comme un appel à la solidarité mutuelle en prévision de la mise en place du cadastre florentin.
Cette scène, comme celle symétrique de saint Pierre guérissant les malades avec son ombre, se déroule entre des bâtiments dans une rue de la ville, vraisemblablement à Florence (la scène originale se déroule à Jérusalem). Elle démontre une maturation stylistique de Masaccio, qui rend l'expressivité des figures plus vigoureuse, tout en composant le fond plus articulé, avec des volumes architecturaux moins stéréotypés.
Masaccio, également, rend l'expressivité des figures plus vigoureuse, tout en composant le fond plus articulé, avec des volumes architecturaux moins stéréotypés. La disposition des figures est cependant plus statique que celle de Saint Pierre guérissant avec l'ombre, la fuite en perspective étant bloquée par le cercle des personnes présentes et le grand bâtiment blanc en arrière-plan.
Les lignes de perspective de cette scène et de celle symétrique convergeaient au centre du mur, où, sous la fenêtre d'origine, se trouvait la Crucifixion de Pietro di Masaccio.
Les personnages sont identifiés concrètement par quelques traits individuels mais suffisants, qui évitent les portraits génériques de Masolino. Meller a émis l'hypothèse que le personnage vêtu de rouge, à moitié caché entre Saint Pierre et la femme avec l'enfant, était l'un des cardinaux de la famille Brancacci : Rainaldo ou Tommaso : grâce à sa position en arrière-plan il aurait été sauvé de la destruction des portraits de la famille Brancacci après 1436.
Une partie du corps d'Ananie (y compris ses mains) et le manteau mauve de Jean avaient été repeints par Filippino Lippi en raison de la chute du plâtre : certains des ajouts ultérieurs, sur la marge gauche, ont été supprimés lors de la restauration de 1988.
Masaccio fait preuve également d'une grande viruosité dans le personnage de l'enfant porté par la femme recevant l'aumône. La pauvreté de la mère est suggérée par la façon sommaire avec laquelle l'enfant est habillé.
La guérison de l'infirme et la résurrection de Tabitha
Cette immense fresque (599 x 260 cm) ornant la partie haute du mur droit le le chapelle Brancacci est l'oeuvre de Masolino, avec sans doute des interventions de Masaccio. Elle fait face au Paiement du Tribut de Masaccio, qui est de mêmes dimensions. Elle n'a pu être peinte qu'en 1424 ou en 1425, avant le départ de Masolino pour le Hongrie, en septembre 1425. Avec les deux plus petites fresques du Péché originel (à droite de celle-ci) et de la Prédication de Saint Pierre (sur le mur du fond, dans la continuité du Paiement du Tribut). Pourtant, comme on le sait aujourd'hui, et comme déjà commenté plus haut, la contribution originale de Masolino à la Chapelle Brancacci fut beaucoup plus importante, puisqu'il y peignit presque tout le plafond d'origine en croisée d'ogives, ainsi que les trois lunettes, à l'exception de la partie gauche de la lunette du fond peinte par Masaccio. Tout ce plafond a été détruit au XVIIIe siècle lors du remplacement de la fenêtre à meneaux datant de la construction de la chapelle, par la fenêtre gothique visible actuellement. Le nouveau plafond a été peint à la fin du XVIIIe siècle (Voir plus haut).
La guérison d'un paralytique et la résurrection de la chrétienne Tabitha sont deux miracles de Saint Pierre qui, selon les Actes des Apôtres, ont eu lieu respectivement à Lod et Jaffa et ont permis de convertir de nombreux habitants des deux villes. Dans cette fresque, les deux scènes sont réunies dans le même espace.
Sur la gauche, Saint Pierre et Saint Jean guérissent miraculeusement un infirme devant une loggia en perspective. Dans le récit de l'Évangile, ils montaient au temple pour la prière où un homme estropié de naissance implorait chaque jour l'aumône ; quand il les a vus qui allaient entrer dans le temple, il leur a demandé une offrande, mais Pierre lui a ordonné de le regarder, et « au nom de Jésus-Christ le Nazaréen », il a dit : « lève-toi et marche », le guérissant de son infirmité.
Sur la droite, Saint Pierre est représenté en train de ressusciter une femme appelée Tabitha, une fidèle de Jaffa, tombée malade et décédée. Mais Pierre, aussitôt prévenu et se trouvant à Lod, partit spécialement pour la voir. Quand il arriva à Jaffa, les veuves en pleurs le rencontrèrent et lui montrèrent les tuniques et les manteaux de la pauvre femme. Lorsqu'il est entré dans sa chambre, il a demandé à être seul, a commencé à prier, puis il s'est tourné vers elle et lui a dit de se lever. Elle ouvrit les yeux et se leva. Masolino a naturellement interprété l'histoire biblique, représentant l'arrivée de Pierre qui, d'un seul geste, ressuscite la femme à la stupéfaction des personnes présentes.
Le décor de la scène est une représentation de Florence de l'époque, avec une place en perspective ( qui pourrait être laPiazza della Signoria) surplombée de maisons crénelées et, au centre, deux bourgeois richement habillés qui passent, visiblement ignorant ce qui se passe autour d'eux.
Contrairement au Paiement du Tribut de Masaccio sur le mur opposé, ici les scènes qui composent la fresque ne sont pas liées les unes aux autres par une suite logique, mais sont simplement juxtaposées, se composant en épisodes indépendants, placés au hasard dans le décor, et qui ne sont reliés que par la suite des évènementss tels que décrits dans les textes. En ce sens, on y retrouve une logique similaire à celle de La résurrection du fils de Théophile et Saint Pierre en chaire.
La vie quotidienne y est racontée en détail, depuis les objets suspendus aux fenêtres (cages, tissus, singes attachés), jusqu'aux passants en arrière-plan. La richesse chromatique et l'attention portée aux détails délicats (tels que les robes, les coiffes) sont proches du style de Gentile da Fabriano et ne pourraient être plus éloignées du style pur et « sanza ornato » (dépouillé) de Masaccio. Masolino donne un rendu des couleurs plus douces, voire plus agéables à l'oeil que Masaccio, mais son style doux ne lui permet pas d'atteindre l'intensité d'interprétation de Masaccio.
La construction en perspective est identique à celle du Paiement du Tribut, avec le point de fuite vers le centre du tableau. Mais contrairement à la scène de Masaccio, les lignes ne convergent pas vers un détail fondamental (dans ce cas la tête du Christ), mais vers un point quelconque, dans le mur juste au dessus de la tête du badaud au chapeau noir (lors de la restauration de 1983-1990, on a d'ailleurs encore retrouvé dans le mur, le clou situé au point de fuite, qui avait servi à y attacher les cordes utilisées pour tracer les lignes de fuite). Dans l'utilisation de cette technique spatiale, on peut lire la volonté de Masolino de s'adapter aux nouveautés de Masaccio.
L'estropié de gauche, surtout comparé par antithèse aux deux riches Florentins en promenade, peut être vu avec une sorte de complaisance aristocratique comparant le monde brillant des cours et son misérable opposé. Masolino fréquentait d'ailleurs volontiers l'aristocratie et les riches bourgeois, contrairement à Masaccio qui était d'une nature solitaire, et s'habillait de façon négligée (ce qui lui valu d'ailleurs son surnom). Mais, contrairement à d'autres peintres comme Gentile da Fabriano, cet état est ici atténué par Masolino, peut-être sous l'influence de Masaccio : le traitement pictural remarquable garantit à la figure de l'infirme une dignité humaine plus en phase avec les idées de la Renaissance florentine.
Les gestes et expressions des personnages de la fresque sont souvent génériques et idéalisés, à l'exception de l'effort, dans l'épisode de la Résurrection de Tabitha, de peindre des personnages pris d'étonnement. Bien qu'il soit très loin du réalisme d'artistes tels que Masaccio ou Donatello, Masolino fait preuve ici d'une certaine habileté qui le distingue des autres artistes du style gothique international, faisant sans doute de lui quelqu'un de plus enclin à collaborer avec le révolutionnaire Masaccio (à moins que ce soit le contraire, et que le hasard de la rencontre et de la collaboration de ces deux peintres ait fait évoluer la peinture de Masolino).
La précision de la perspective et le réalisme convaincant de la place en arrière-plan avaient incité Roberto Longhi à attribuer cette zone au dessin de Masaccio, hypothèse désormais largement exclue : l'attention portée aux moindres détails éloignés est typique du style de Masolino. Les scènes anecdotiques (les cages suspendues aux poteaux, les singes sur les rebords des fenêtres) sont totalement absentes de l'essentialisme lucide de Masaccio. Plus qu'attaché à la reproduction fidèle de la réalité, Masolino semble intéressé par une curiosité typique du goût courtois « international ».
En outre, Luciano Berti a été le premier à souligner comment la loggia (attribuée avec certitude à Masolino, en raison du style gothique excessif) a été peinte au cours de la même « giornata » qu'une partie de la rue (jusque-là attribuée à Masaccio). La partie du bâtiment rose entre la tête de Saint Pierre et la maison de Tabitha fait également partie d'une seule « giornata ». Ornella Casazza a étudié la manière particulière de Masaccio de mettre en perspective les tuiles du toit, présentes notamment dans la Résurrection du fils de Théophile et Saint Pierre en chaire et la Distribution des aumônes, absente de cette scène.
Cela donnerait à Masolino une place importante dans le cadre du développement de la perspective en peinture, lui conférant le mérite de « l'espace urbain le plus convaincant jamais créé jusqu'alors en peinture » (Spike, 1995-2002), notamment en ce qui concerne le devant des maisons et le parfait raccourci de gauche, bientôt égalé par Masaccio dans l'Ombre de Saint Pierre guérit des infirmes (peint vers 1427). Il n'en reste pas moins que dans aucune des tentatives ultérieures de perspective spatiale, Masolino n'a jamais obtenu un résultat comparable à celui-ci, ni à la basilique Saint-Clément-du-Latran à Rome, ni au baptistère de Castiglione Olona. La solution se trouve peut-être dans la voie médiane où Masaccio a fourni le schéma et Masolino a peint tout le reste.
La description et l'analyse ci-dessus sont largement repris des ouvrages de deux historiens d'art qui ont étudié la Chapelle Brancacci après sa restauration de 1983-1990 :
- John T. Spike, Masaccio, Rizzoli libri illustrati, Milan, 2002 (ISBN 88-7423-007-9).
- Mario Carniani, La Cappella Brancacci a Santa Maria del Carmine, in AA.VV., Cappelle del Rinascimento a Firenze, Editrice Giusti, Florence, 1998.
J'ajouterai, à titre personnel, en me basant sur d'autres lectures diverses, mais aussi sur maes propres observation que les progrès de Masolino sont prodigieux entre la réalisation du Péché originel, situé juste à droite et cette fresque-ci. Admettons que l'utilisation de la perspective n'était pas nécessaire dans le Péché originel, mais celle-ci est subitement maîtrisée à la perfection par Masolino, qui n'en a pourtant pas appris la technique, contrairement à Masaccio qui a suivi les cours de Brunelleschi et observé longuement les travaux de Donatello, ses aînés et amis. Deplus, dans ses oeuvres suivantes, comme dit ci-dessus, il ne la maîtrisera plu.
Subitement aussi, alors que cela laisse encore autant à désirer dans la Prédication de Saint Pierre, les pieds des personnages sont bien encrés au sol. C'est même parfait.
Il y a un contraste frappant entre différents visages. Ceux des deux badauds, par exemple, sont bien différents de ceux des trois hommes debout près du lit de Tabitha.
Les raccourcis sont réussis cette fois, contrairement aux erreurs du Péché Originel, où les mains gauche d'Adam et droite d'Ève sont démesurément grandes. Ici, le corps courbé de l'infirme et les mains des hommes entourant Tabitha sont aux bonnes proportions.
Ne perdons pas de vue que Masaccio et Masolino peignent sur le même échafaudage, et que pendant que Masolino exécute cette fresque, Masaccio est à quelques mètres occupé à réaliser le Baptême des Néophytes.
Masaccio n'a sans doute pas peint cette fresque-ci. Comme évoqué plus haut, le luxe de détails évoque clairement Masolino. Mais j'ai la conviction que c'est Masaccio qui a placé les lignes de fuite, et que de plus, il a contribué au sinopia (le dessin préparatoire exécuté au pigment rouge, ou, le plus souvent, au charbon de bois).
Après le départ de Masolino pour la Hongrie en septembre 1425, Masaccio est resté seul dans la chapelle jusqu'à la fin mars 1428, avec toutefois un long séjour à Pise en 1426. Il a eu tout le loisir d'apporter des corrections à la fresque de Masolino. Je suis persuadé que les trois têtes des hommes debout devant le lit de Tabitha et probablement même celle du Saint Pierre de droite sont de sa facture. Leur expressivité est trop grande pour être de Masolino. ils ressemblent trop aux apôtres du Paiement du Tribut, les couleurs et les clair-obscur sont tellement similaires à ceux de Masaccio.
Pour moi, cette fresque a été en grande partie réalisée par Masolino, mais avec le concours de Masaccio pour plusieurs élements de première importance.
La contribution de Filippino Lippi
Avec le retour en grâce de la famille Brancacci et son retour à Florence, les travaux ont pu reprendre dans leur chapelle. Non seulement, il falait compléter les parties qui n'avaient pas été achevées lorsque Masaccio est parti à Rome en mars 1428, et y est mort dans des conditions jamais élucidées. Mais il fallait aussi réparer toutes les parties qui avaient été vandalisées après le départ des Brancacci en exil. Bien que n'ayant pas comploté contre Cosme l'Ancien de Médicis, ils étaient des proches amis des Strozzi, la famille la plus riche de Florence et ennemie des Médicis. Leur statut d'amis des Strozzi les a contraint à l'exil également dès 1436. Comme Masaccio avait pris l'habitude de représenter des personnages connus de la vie de Florence dans les épisodes bibliques des fresques, dans la fresque de la Résurrection du fils de Théophile, un assez grand nombre de membres de la famille Brancacci ou de proches étaient représentés, notamment parmi les quelques personnages de gauche sur la fresque, mais aussi dans le groupe central. Après le départ en exil des Brancacci, on a voulu, comme c'atait le cas pour les personnes tombées en disgrâce, faire disparaître leurs images de la ville. Leurs portraits sur la fresque de Masaccio ont donc fait partie de cet effacement. On peut penser que c'était à l'aide d'outils démolissant le plâtre aux endroits où ils étaient représentés. Cela laissait en plus des dommages colatéraux, qu'il fallut aussi réparer.
Dans cette fresque, on ne conserve de Masaccio que les éléments d'architecture, avec beaucoup de doutes concernant le mur fermant la scène, une tête du groupe de gauche, les personnages du groupe du centre, depuis l'homme en bleu assis à la droite de Théophile et regardant devant lui, jusque, mais non compris, le personnage debout en vert. Mais ni Saint Pierre, sauf de le bras peint par Masaccio, qu'on distingue encore nettement du reste du corps, ni Saint Paul agenouillé, sauf l'enfant réssucité. Et enfin, le groupe de droite, les Carmes debout et les trois en prière, Saint Pierre en chaire et les portraits des quatre peintres ont échappé au vandalisme.
On demanda donc à Filippino Lippi de non seulement réparer les dégâts mais aussi de compléter les fresques sur les murs encore non décorés : le bas du mur de droite, et la partie manquante du mur de gauche, sous l'Adam et Ève chassés de l'Eden de Masaccio, et à gauche de cette Résurrection du fils de Théophile.
Filippino Lippi (1457-1504) est le fils du Carme Fra Filippo Lippi et de la religieuse Lucrezia Buti, qui lui servit de modèle. Fra Flippo Lippi était un peintre renommé, lui-même élève de Masaccio, et ayant notamment contribué aux fresques du Duomo. Filippo Lippi père eut notamment pour élève Sandro Boticcelli qui lui-même eu Filippino Lippi, le fils, comme élève. C'est sans doute la filiation artistique avec son père qui conduisit au choix de Flippino Lippi. Les différents éléments historiques disponibles indiquent qu'il aurait travaillé à la Chapelle Brancacci entre 1485 et 1489. Six décennies s'étaient écoulées depuis Masaccio. Les techniques et les façons de peindre avaient déjà largement évolué. Botticelli avait déjà plus de 40 ans, et Léonard de Vinci, environ 35 ans. Le « sfumato » devenait déjà pratique courante, car si Léonard l'a observé, étudié et approfondi, allant jusqu'à utiliser plusieurs dizaines de couches de glacis de quelques micromètres pour ses oeuvres les plus mythiques, bien d'autres, dont Filippino, avaient déjà abordé la technique, quoique se limitant à seulement quelques couches. Filippino était aussi dans la droite ligne de son maître Botticelli. Il s'écarte du naturalisme des Masaccio, Fra Angelico ou Piero della Francesca, pour représenter des personnages très ornementés ainsi que l'ajout d'ornements divers aux décors qui « font joli » mais ne sont pas naturels. Raphaël naît à peine (en 1487). Lui reviendra, plus que tout autre au naturalisme. Filippino pousse même parfois l'audace jusqu'à des postures atypiques de ses personnages, préfigurant le maniérisme, qui allait avoir son heure de gloire entre la mort de Raphaël (1520) et le début de la peinture baroque (vers 1580). Mais pour la chapelle Brancacci, il essaie au maximum de « retenir son pinceau » et de coller au maximum aux techniques de Masaccio. C'est très réussi pour les « réparations » de la « Résurrection su fils de Théophile », ce l'est moins pour les autres fresques, entièrement de sa main.
La fresque reconstruite par Flippino Lippi
Comme je l'ai déjà mentionné plus haut, dans le groupe central de la Resurrection du fils de Théophile, les personnages allant de l'homme assis en bleu jusqu'au personnage en vert, non compris, son de la main de Masaccio. Il est vraisemblable, qu'au delà figuraient des personnages figurant des Brancacci. Mais en outre, la représentation de l'enfant réssucité, parmi quelques ossements éparts, sur un espace extrêment limité, n'est pas convaincante, et tout à fait opposée au naturel des scènes de Masaccio, et à l'ouverture de l'espace, tel qu'on le voit dans le Paiement du Tribut. L'avis des experts contemporains est que Filippino Lippi a ajouté des personnages dans un espace extrêmement saccagé, et que très vraisemblablement Maasaccio avait placé en plein centre le tombeau de l'enfant, et l'enfant lui-même sortant ou étant sorti du tombeau, le tout occupant une partie importante du centre. La direction du regard de Théophile et de l'homme en bleu semble en plus le suggérer. Si tel est le cas, dans la perspective du décor, l'enfant aurait été plus en arière dans la perspective de la scène. Ce qui impliquerait que Saint Pierre devait avoir également le regard plus tourné vers l'arrière. Ceci explique sans doute que dans sa nouvelle composition, Filippino Lippi ait du redessiner la tête de Saint Pierre qui regardait alors plus vers l'arrière qu'il ne le fait sur la fresque visible aujourd'hui. Et comme cela l'obligeait également de bouger la position de son pied droit, il a complètement redessiné Saint Pierre, à l'exception de la partie antérieure du bras droit.
Dans le groupe de cinq personnages à l'extrême gauche de la fresque, quatre d'entre eux étanit vraisemblablement des membres de la famille Brancacci. Et Filippino les a repeints, ne touchant pas à la tête du quatrième personnage en partant de la gauche, qui est de Masaccio, peut-être un portrait du cardinal Branda Castiglione, dont Filippino a complètement oublié de peindre une paire de pieds.
Le garçon ressuscité est indiqué par Vasari comme un portrait du futur peintre Francesco Granacci à l'âge de quinze ans, ce qui permettrait, en calculant son âge, de dater l'intervention de Filippino vers 1485.
Dans le groupe central et dans celui de gauche, Filippino peint les portraits des membres des grandes familles de l'Oltrarno à l'époque de Laurent le Magnifique : les Soderini, les Pulci, les Guicciardini, les del Pugliese, ainsi que d'autres notables du cercle des Médicis.
L'architecture est généralement attribuée à Masaccio, du moins en ce qui concerne les bâtiments latéraux, tandis que la paternité du mur avec des plaques en marbre sur lesquels on peut voir des vases, et des arbres au-delà, est plus incertaine. Si elle a été peinte par Masaccio, comme semble le confirmer le diagramme des « giornate » de la fresque, elle serait le premier exemple d'une manière de fermer les fonds reprise quelques décennies plus tard par Fra Angelico, Domenico Veneziano, Andrea del Castagno, Alesso Baldovinetti et leurs successeurs respectifs.
Mais le style du mur est différent de celui connu des œuvres de Masaccio, avec la présence des vases et des petits arbres dépourvus de toute fonction particulière, si éloignée de l'image qui s'est développée dans les études critiques de Masaccio comme peintre de l'essentiel. De plus, le mur est mal relié, tant à droite qu'à gauche, aux bâtiments latéraux. La technique, libre et fluide, rappelle davantage le style de Filippino, à l'époque duquel ce motif était déjà très répandu. S'il s'agissait de son œuvre, ce fond artificiel, qui semble surgir soudainement au-dessus des têtes, remplirait parfaitement la tâche de camoufler et de faire en sorte que ses modifications se fondent dans l'arrière-fond.
Les fresques de Filippino Lippi
La grande fresque du mur droit sous la fresque de Masolino ("La guérison de l'infirme et la résurrection de Tabitha"), de même dimension, présente aussi deux événements séparés, bien que se suivant immédiatement dans les Actes des Apôtres et dans la Légende dorée. Le premier épisode se trouve sur la droite. La dispute entre Saint Pierre, Saint Paul et le Magicien Simon, qui se prétendait être Dieu, devant Néron, qui conduisit à l'exécution de Paul et de Pierre. Le premier étant né dans l'Empire romain, et donc de facto citoyen romain, eut la tête tranchée, peine de mort réservée aux citoyens hors les traitres, car considérée comme non douloureuse. Pierre lui, qui n'était pas citoyen romain, fut crucifié, mais par humilité par rapport au Christ, il demanda à être crucifié la tête en bas (scène de gauche). Pour les détails, lire les paragraphes II et III de la vie de Saint Pierre dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. Il est à noter que dans chacune de ces deux scènes, Filippino Lippi y a joint son autoportrait : le deuxième personnage à droite dans la Crucifixion, le personnage à l'extrême droite dans la Dispute.
Sous Adam et Ève chassés de l'Eden, et donc à gauche de La résurrection du fils de Théophile, Flilippino Lippi a peint un épisode de l'histoire religieuse qui n'a été peint que cette seule et unique fois : il s'agit de la visite de Saint Paul à Saint Pierre en prison. Voici ce qu'en dit Émile Mâle dans la Revue des Deux Mondes, page 389 du 1er août 1955, dans un article dédié à l'Art Chrétien, et plus précisément à la représentation de l'histoire des apôtres Pierre et Paul : « Je ne veux pas terminer cette histoire apocryphe de saint Pierre, sans dire un mot d'une curieuse légende qui n'a été peinte qu'une fois. Une fresque de l'église du Carminé, à Florence, nous la montre. Cette fresque commencée par Masaccio fut terminée, après sa mort, par Filippino Lippi. Que représente-t-elle ? Les commentateurs anciens et modernes sont embarrassés pour répondre. Vasari, qui en parle le premier, y voit la résurrection du fils, de l'empereur. Quel empereur ? Il ne le savait. Les interprètes modernes n'en savent pas davantage. Plusieurs croient y voir la lutte de Simon le Magicien et de saint Pierre pour la résurrection du jeune homme qui vient de mourir. Explication inadmissible, car la scène se passe dans un cimetière où l'on voit des crânes et des ossements. Un passage de la Légende dorée, que l'on lisait le jour de la fête de la Chaire de saint Pierre, nous l'explique. Nous donnons de ce texte l'essentiel.
Le premier magistrat d'Antioche, nommé Théophile, avait fait mettre saint Pierre en prison. Saint Paul, qui avait su gagner les bonnes grâces de Théophile, allait rendre visite à saint Pierre dans sa prison et lui apportait de la nourriture pour qu'il ne mourût pas de faim. C'est là le sujet que représente la première partie de la fresque, épisode que les interprètes jugeaient inexplicable et qu'une simple lecture de la Légende dorée rend fort clair. Un jour saint Paul dit à Théophile : - Pourquoi laisser en prison un homme qui a le pouvoir de guérir les infirmes et ressusciter les morts ? - Je lui ferai grâce, dit Théophile, s'il ressuscite mon fils, mort depuis quatorze ans. Saint Pierre fut amené au tombeau et, quand il eut prié, le jeune homme ressuscita. Après ce miracle, Théophile et les habitants d'Antioche crurent au Seigneur. Ils élevèrent une magnifique église et ils placèrent au milieu un siège élevé sur lequel ils firent asseoir saint Pierre. »
Enfin, la dernière fresque, sur le mur de droite, sous le Péché Originel, est une autre scène de Saint Pierre en prison, mais se passant à un tout autre moment que la précédente, à Jérusalem cette fois, et non à Antioche. Il s'agit ici d'une scène peinte à plusieurs reprises pendant la Renaissance. Hérode Agrippa (appelé simplement Agrippa dans les textes romains), petit-fils d'Hérode le Grand (règnant, selon les évangiles, à la naissance de Jésus) et neveu d'Hérode Antipas, fils d'Hérode le Grand (règnant selon les évangiles au moment de la condamnation à mort du Christ), a été le dernier roi de Judée. Selon les actes des apôtres, il persécutait, à Jérusalem, les nouveaux judeo-chrétiens. Il fit emprisonner Pierre qui fut délivré par un ange. Cette histoire constitue aussi le thème d'une des fresques de Raphaël, peinte dans les appartements pontificaux, plus précisément dans la Chambre d'Héliodore, en 1514. L'histoire est issue des Actes des apôtres chapitre 12 paragraphes 7 à 11. Voici ce que ce chapitre raconte :
01 À cette époque, le roi Hérode Agrippa se saisit de certains membres de l’Église pour les mettre à mal.
02 Il supprima Jacques, frère de Jean, en le faisant décapiter.
03 Voyant que cette mesure plaisait aux Juifs, il décida aussi d’arrêter Pierre. C’était les jours des Pains sans levain (*).
04 Il le fit appréhender, emprisonner, et placer sous la garde de quatre escouades de quatre soldats ; il voulait le faire comparaître devant le peuple après la Pâque.
05 Tandis que Pierre était ainsi détenu dans la prison, l’Église priait Dieu pour lui avec insistance.
06 Hérode allait le faire comparaître. Or, Pierre dormait, cette nuit-là, entre deux soldats ; il était attaché avec deux chaînes et des gardes étaient en faction devant la porte de la prison.
07 Et voici que survint l’ange du Seigneur, et une lumière brilla dans la cellule. Il réveilla Pierre en le frappant au côté et dit : « Lève-toi vite. » Les chaînes lui tombèrent des mains.
08 Alors l’ange lui dit : « Mets ta ceinture et chausse tes sandales. » Ce que fit Pierre. L’ange ajouta : « Enveloppe-toi de ton manteau et suis-moi. »
09 Pierre sortit derrière lui, mais il ne savait pas que tout ce qui arrivait grâce à l’ange était bien réel ; il pensait qu’il avait une vision.
10 Passant devant un premier poste de garde, puis devant un second, ils arrivèrent au portail de fer donnant sur la ville. Celui-ci s’ouvrit tout seul devant eux. Une fois dehors, ils s’engagèrent dans une rue, et aussitôt l’ange le quitta.
11 Alors, se reprenant, Pierre dit : « Vraiment, je me rends compte maintenant que le Seigneur a envoyé son ange, et qu’il m’a arraché aux mains d’Hérode et à tout ce qu’attendait le peuple juif. »
12 S’étant repéré, il se rendit à la maison de Marie, la mère de Jean surnommé Marc, où se trouvaient rassemblées un certain nombre de personnes qui priaient.
13 Il frappa au battant du portail : une jeune servante nommée Rhodè s’approcha pour écouter.
14 Elle reconnut la voix de Pierre et, dans sa joie, au lieu d’ouvrir la porte, elle rentra en courant annoncer que Pierre était là, devant le portail.
15 On lui dit : « Tu délires ! » Mais elle soutenait qu’il en était bien ainsi. Et eux disaient : « C’est son ange. »
16 Cependant Pierre continuait à frapper ; ayant ouvert, ils le virent et furent dans la stupéfaction.
17 D’un geste de la main, il leur demanda le silence et leur raconta comment le Seigneur l’avait fait sortir de la prison. Il leur dit alors : « Annoncez-le à Jacques et aux frères. » Puis il sortit et s’en alla vers un autre lieu.
(*) on notera au passage le caractère épouvantablement antisémite de ces textes, non seulement apocryphes, mais très vraisemblablement inventés ab nihilo, qui ont constitué le ferment de la persécution constante des Juifs dans nos sociétés occidentales et on construit l'imaginaire de la supériorité du chrétien blanc jusqu'à représenter le Christ sous les traits d'un Blanc de type nordique, et ont débouché au XXe siècle sur les horreurs fascistes.
Pour conclure
Les fresques de la chapelle Brancacci, par les transgressions apportées aux textes‐sources et à la tradition, notamment en plaçant les scènes dans le contexte de la vie florentine (détails de la vie quotidienne chez Masolino, très nombreuses références à des personnages de son époque chez Masaccio) sont résolument contemporaines. Elles démontrent le caratère visionnaire de Masaccio, qui, à peine âgé de 20 ans, s'attaque à une entreprise titanesque de remplir presque toute la longueur d'un mur d'une seule fresque, d'y inventer la perspective linéaire en peinture, et de modeler ses personnages grâce aux contrastes très marqué des couleurs.
Pour détailler ce caractère contemporain, le côté visionnaire de Masaccio, la signification politique des oeuvres, et aborder la question de la nudité, qui avait fait censurer l'Adam et Ève de Masaccio sous Cosme III, mais pas le couple de Masolino, on peut encore se référer à la thèse de G. Monédiaire, Mini‐thèse d’Histoire et Théories des Arts, 2012‐2013.
Le texte de Guilhem Monédiaire se termine ainsi :
« La grande modernité des fresques de la Chapelle Brancacci ne doit pas être perçue au singulier mais au pluriel. Chaque peintre a fait don de son génie au lieu, dans une manière de conversation sublime. C’est en grande partie pourquoi la chapelle provoque toujours une surprise à la vue des murs peints. La contemporanéité de Masaccio nous émeut toujours et continue de toucher l’âme, le cœur et les tripes comme tous les chefs‐d’œuvre de l’humanité. On comprend alors l’importance de la restauration entre 1984 et 1988 sous la direction conjointe d’Umberto Baldini et d’Ornella Casazza et grâce au mécénat de la firme Olivetti pour un des budgets les plus importants de cette période. Toutefois, comme l’explique justement Daniel Arasse, la restauration, même si elle vise à rendre à l’œuvre d’art son état original, ne peut que créer une œuvre différente. On voit que la restauration a permis d’enlever les feuillages de pudeur ajoutés après 1652 et de corriger les couleurs qui étaient devenues rouge brique à cause de l’incendie de 1771. Conserver le patrimoine florentin de la Renaissance et permettre au plus grand nombre de l’observer, tel était l’objectif de la restauration. Il semble qu’elle fut une réussite, tant pour l’étude des peintres, de l’histoire du Quattrocento, que pour la conservation des œuvres.
La surprise n’est que plus grande si l’on sait que Masaccio est mort prématurément à 27 ans, amenant Brunelleschi, le « roi du monde » selon Benedetto Dei, à assurer : « Nous avons subi une grande perte ». Si cette perte individuelle est incontestable, notre mission est de perpétuer l’héritage spirituel et artistique des génies de la Renaissance. »
Terminons par écouter précisément ce très grand historien de l'art de la renaissance italienne que fut Daniel Arasse, qui nous parle de l'invention de la perspective et en particulier de Masaccio dans Histoires de Peintures, une série de podcasts retransmis sur France Culture en 2022 :