Orsanmichele, l'église des corporations florentines
Orsanmichele est à la fois une église et un musée. L'église est particulière, car elle constitue le rez-de-chaussée d'un batiment rectangulaire, sans campanile, et pourtant magnifique à l'intérieur. Et ses deux étages sont un musée rassemblant une collection de statues de grands maîtres du début de la Renaissance, couvrant essentiellement le début du Quattrocento, c'est à dire le 15e siècle.
Orsanmichele est assez méconnu de la masse des touristes, qui pourtant passent régulièrement le long de sa façade arrière (façade est), en se rendant des Offices et du Palazzo Vecchio au Duomo, la cathédrale Santa Maria del Fiore, en empruntant la via dei Calzaiuoli (rue des cordonniers). Or, cet édifice a été d'une importance majeure au cours de la république florentine, car, en plus d'être religieux et utilitaire, il était le batiment emblématique de ceux qui réglaient la vie de la cité : les corporations d'arts et de métiers de Florence (le Arti di Firenze).
Les premières traces écrites d'Orsanmichele remontent au VIIIe siècle. Le site est alors un jardin potager ("Orto"), cultivé semble-t-il par des religieuses. On y érige un petit oratoire dédié à l'Archange Saint Michel. Cet oratoire prend donc le nom de San Michele in Orto. Il est démoli en 1239, et vers 1290, Arnolfo di Cambia y batit une grande loggia en bois à l'abri de laquelle on stocke et vend le grain. Mais ce lieu de commerce devient aussi un lieu de dévotion consacré à la Vierge, car une fresque représentant celle-ci est peinte sur un des piliers, à laquelle des miracles sont attribués. Le lieu a conservé son ancien nom, mais a fini par être contracté, devenant Orto di San Michele, puis Or' San Michele et enfin Orsanmichele.
Le stockage et le commerce du grain est alors crucial pour la vie dans la cité et pour sa stabilité économique. Si bien que, assez naturellement, c'est la ville qui prend les commande de l'activité et en contrôle l'approvisionnement et les prix.
La ville, depuis la fin du 12e siècle et jusqu'en 1770, possède des corporations de métiers, dites Arti, qui exerceront le pouvoir dans la république florentine à partir de 1282, moment où la guerre entre parti des Guelfes, reconnaissant la souveraineté du Pape, et Gibelins, reconnaissant le souveraineté de l'empereur du Saint-Empire, se termine au profit des Guelfes. Florence était essentiellement une ville guelfe et vient de battre Sienne, une ville à dominance gibeline. La cité octroie sa confiance au "second peuple" dominé par les corporations, plutôt qu'aux nobles, vivant d'ailleurs pour la plupart sur leurs terres, en dehors de la cité. La gouvernance de Florence est dès lors assurée par la Seigneurie, composée de neufs membres, appelés les Prieurs, 6 d'entre eux appartenant aux Arts majeurs et deux seulement aux Arts mineurs, pourtant plus nombreux (ces Arts sont décrits plus en détails plus bas dans le texte). Le neuvième Prieur est le Gonfalonnier de justice, choisi parmi les grandes familles de la ville. Bien que son vote n'est pas prépondérant sur celui des huits autres, il est le Prieur le plus important car il est chargé du commandement des troupes assurant la sécurité extérieure et intérieure de la cité. Le gonfalon est l'étendard de la cité, blanc barré d'une croix rouge. Les Prieurs sont désignés par tirage au sort et exercent la fonction pendant deux mois seulement. Après ce terme, ils sont remplacés par un nouveau tirage au sort.
Les grandes familles, que le commerce a enrichies, prennent cependant de plus en plus d'importance dans les décisions, surtout après la grande peste du milieu du 14e siècle, et les Prieurs perdent le contrôle de la ville en 1434, quand Cosme l'Ancien de Medicis prend le pouvoir en plaçant des hommes de confiance aux postes clés.
Donc, quand cette première loggia est détruite par un incendie en 1304, c'est tout logiquement les corporations, les Arti, qui décident de sa reconstruction. Mais la grande inondation de 1333 (d'importance similaire à celle de 1966) met un frein aux travaux. La nouvelle loggia, dont les travaux sont bien entamés, est détruite, les réserves de grains le sont tout autant. Il faut donc attendre que la ville se remette du désastre pour que les Arti décident de financer un nouveau bâtiment, en pierre cette fois. On y ajoute deux étages fermés destinés à stocker le grain.
La construction commence en 1337 pour se terminer en 1349. On n'omet surtout pas le côté religieux consacré à la Vierge : la fresque de la loggia d'Arnolfio di Cambia ayant disparu dans l'incendie, une nouvelle Madone est peinte sur bois par Bernardo Daddi en 1347, dite "Madone des Grâces". À peine un an plus tard, la peste noire (1348-1352) atteint Florence et tue la moitié de sa population. Bernardo Daddi mourut d'ailleurs de la première vague de peste, dès 1348.
La terreur de la population face à ce fléau (la plus grande pandémie de mémoire d'homme, ayant tué un Européen sur trois) fait très vite de la Madonne de Bernardo Daddi un objet de prière très sollicité, et de très nombreux ex-voto y sont déposés. Les dons affluent. La loggia est rendue entièrement au culte de la Vierge et devient une église à part entière, en fermant toutes les arcades (ces fermetures sont encore parfaitement visibles dans l'achitecture actuelle de l'édifice). Les étages supérieurs conservent toutefois leur fonction de greniers à grains. Les dons permettent l'édification, débutée dès 1349 et achevée vers 1359, d'un somptueux tabernacle en marbre incrusté de mosaïques d'or, de lapis-lazuli et d'émaux, pour y recevoir la Madone des Grâces. Ce tabernacle est l'oeuvre du sculpteur Andrea di Cione di Arcangelo, dit l'Orcagna.
Les Arti ne se font pas oubler. Cette église surmontée de la réserve de grains a été édifiée grâce à eux. Dès la seconde moitié du 14e siècle, des niches (également appelées tabernacles) sont construites à l'emplacement de chaque pilier, sur les façades extérieures. Quatorze niches au total, dans lesquelles prendront progressivement place quatorze statues commanditées par quatorze Arti différents, et toutes exécutées par les plus grands sculpteurs du moment.
Ouvrons ici une parenthèse à l'histoire d'Orsanmichele pour décrire ce qu'étaient ces Arti, ces corporations de métiers, qui se partageaient la gouvernance de la ville jusqu'à l'arrivée des Medicis. Suite au déclin de l'influence du Saint-Empire en Italie au XIe et XIIe siècle, Florence devient de plus en plus indépendante et largement dominée par le parti Guelfe, se rangeant du côté du Pape plutôt que de l'Empereur. L'antagonisme entre Guelfes et Gibelins (partisans de l'Empereur) conduira à des conflits armés incessants entre les villes italiennes, jusqu'au début du XIVe siècle. Florence en sortira d'ailleurs en devenant la ville la plus riche de Toscane, puisqu'elle a vaincu Sienne, et que Pise, pour sa part, a été vaincue par Gênes. Au milieu du XIIe siècle, ces conflits apparaissent déjà comme étant au détriment du négoce, et, pour s’opposer à la societas militum où se regroupait l’aristocratie, mais aussi aux grandes familles bourgeoises ("le populo grosso"), les marchands de Florence avaient créé une vaste corporation intitulée Calimala, corporation d’élite qui fabriquait les meilleurs draps affinés d’Occident après avoir acheté en Angleterre une quantité énorme de draps écrus ou de la laine écrue en Flandre. Cette corporation, qu'on appele aussi la corporation des marchands, se livre donc au travail du drap ou de la laine brute, mais est aussi de facto impliquée dans le négoce avec les autres cités ou les autres pays d'Europe.
On trouve plusieurs hypothèses tentant d'expliquer ce nom de "Calimala". La plus convainquante, et aujourd'hui retenue par la majorité des historiens et linguistes, est que ses entrepôts étaient situés le long d'une rue considérée comme dangereuse, mal famée, où les détrousseurs étaient nombreux. La rue aurait déjà porté le nom de Calimala à l'époque (ou un nom similaire) et serait dérivé du latin "callis malus" c'est à dire "chemin mauvais" ou "chemin dangereux" (le nom "calle" utilisé en Espagne ou à Venise pour désigner une rue est d'ailleurs dérivé du latin "callis"). Aujourd'hui, le nom est resté. La via Calimala, qui longe le Palazzo dell'Arte della Lana, prolongée au nord par la via Roma, et au sud par la via por Santa Maria, avant d'aboutir au Ponte Vecchio, constitue un des axes nord-sud principaux de Florence.
La Calimala compte des correspondants dans l’Europe entière, des « hôtelleries », en France, en Espagne, en Allemagne… Pour le négoce, elle utilise essentiellement les lettres de change, avant que ne naisse le besoin de créer une monnaie, qui, vu l'importance prise par Florence, aura valeur d'étalon international. Ce sera la création du florin, et avec lui, l'apparition des métiers liés au Cambio (cambistes et banquiers). La Calimala prend d’ailleurs tellement d’ampleur qu’il lui faut éclater, en 1193, en sept Arti maggiori (« Arts majeurs ») regroupant :
- Arte di Calimala : production et commerce de draps - affinés de l'écru - et par conséquent négoce mais aussi importation d'épices, de parfums, de bijoux, d'étoffes précieuses, exportation de blé
- Arte del Cambio : le change et les banquiers (le mot "banquier" venant lui-même du fait qu'ils échangeaient l'argent sur des bancs, des étals, placés autour des marchés)
- Arte della Seta o di Por Santa Maria : les fabriquants de tissus et d'habits en soie. Les orfèvres font partie de la même corporation, car les pièces d'orfèvrerie servaient pour la majorité à compléter les riches pièces d'habillement, notamment par l'ajout de fermoirs, de ceintures ou de bracelets en métaux précieux. "Por Santa Maria" était le nom de la rue où les artisans de la soie avaient leur siège, dans la continuité de la via Calimala, et avant le Ponte Vecchio où offiçaient les orfèvres.
- Arte della Lana : la Laine. Cette corporation regroupait les artisans responsables de tous les stades du travail de la laine, en passant par la séparation des différentes qualités de fibres, le lavage, le cardage, le peignage, le filage, le tissage, le foulage, la teinture et la vente. Progressivement, l'Art de la Laine va devenir la corporation la plus importante de Florence, prenant l'ascendant sur Calimala, avant d'être elle-même concurrencée par la Seta.
- Arte dei Pellicciai e Vaiai : les Fourreurs et Pelletiers (c'est à dire tous les métiers de transformation des peaux, tels que ceux qui cousaient le vair ou tanaient les peaux)
- Arte dei Giudici e Notai : les Juges et les Notaires
- Arte dei Medici e Speziali : les Médecins et Apothicaires, mais aussi barbiers, épiciers, merciers et marchands de couleurs (pour le secret de leur fabrication) ; pour ces dernières raisons, les peintres leur sont associés.
Nous avons déjà vu que sous la république florentine, 6 des neufs prieurs de la Seigneurerie sont tirés au sort parmi les 7 Arts majeurs. Aux Arts majeurs, se sont progressivement ajoutés 14 Arts mineurs à partir de 1289. Deux des prieurs étaient tirés au sort parmi ses membres.
Les 14 Arti minori étaient :
- Arte dei Linaioli e Rigattieri : Tisseurs de Lin et fripiers
- Arte dei Calzolai : Chausseurs (qui regroupait les métiers de la chaussure, fabricants ou cordonniers, ainsi que les tisseurs de bas)
- Arte dei Fabbri : Forgerons et Métalliers
- Arte dei Maneschalchi : Maréchaux-ferrants
- Arte dei Beccai : Bouchers
- Arte dei Vinattieri : Marchands de vin, taverniers
- Arte degli Albergatori : Aubergistes
- Arte degli Oliandoli e Pizzicagnoli : Marchands d'huile, sel et fromages
- Arte dei Corazzai e Spadai : Armuriers et fourbisseurs, c'est à dire les fabricants d'armures et d'armes.
- Arte dei Chiavaioli : Serruriers
- Arte dei Correggia : Corroyeurs (tous types de courroies en cuir)
- Arte dei Maestri di Pietra e Legname : Marchands de pierres et de bois travaillés
- Arte dei Fornai : Boulangers
- Arte dei Cuoiai e Galigai : Artisans du cuir et les selliers.
Revenons maintenant aux niches des façades d'Orsanmichele. Ces niches (ou "tabernacles") sont apparues progressivement sur les murs entre les arcades, dès les premières années ayant suivi la construction de l'édifice, terminée en 1349. Quatorze niches ont ainsi été construites, 3 sur chaque façade est et ouest (ouest étant le côté des entrées principales) et quatre sur chaque façade nord et sud. Dans ces niches, on trouve les statues des Saints-Patrons des 7 Arts majeurs et 6 statues de Saint-Patrons d'Arts mineurs. La quatorzième niche, au centre de la façade est, le long de la via dei Calzaiuoli, reliant la Seigneurie à la Cathédrale, ayant été commanditée par le Tribunal des Marchands (organe défendant les corporations et réglant les litiges), et représentant le Christ et Saint-Thomas. Cette statue en bronze a été sculptée par Andrea del Verrocchio, peintre et sculpteur de la seconde moitié du Quattrocento, ayant joué un rôle majeur, non seulement comme artiste, mais aussi comme maître, puisque des artistes de renom sont passés par son atelier, tels que Botticelli et Léonard de Vinci. L'oeuvre date des années 1470 et n'est donc pas une des plus anciennes. Nous verrons que cette niche a toute une histoire, et comme plusieurs autres, a d'abord abrité une autre statue plus ancienne. Le duo de statues de Verrocchio offre la particularité que Saint Thomas y est disposé de profil et qu'une partie importante de son corps, l'épaule et la jambe droite, et particulièrement le pied, sortent de la niche. Il est possible que Verrocchio ait du composer ainsi du fait que les proportions de l'ensemble ne permettaient pas à la niche de le contenir. Néanmoins, c'est une innovation qui ajoute de la perspective à la composition, et en augmente le réalisme.
Voici la liste des 14 sculptures, ainsi que le nom des artistes, et les corporations qui les ont commanditées :
- La Madone de la rose - Madonna della Rosa (1399 env.) de Pietro di Giovanni Tedesco - commandité par Medici e Speziali (Médecins et Apothicaires)
- Les Quatre Saints couronnés (1409-1417) de Nanni di Banco - commandité par Maestri di Pietra e Legname (Charpentiers et Maçons)
- Saint Philippe (1410-1412) de Nanni di Banco - commandité par Calzauoli (Chausseurs)
- Saint Marc (1411-1413) de Donatello - commandité par Linaivoli e Rigattieri (Tisseurs de lin et Fripiers)
- Saint Pierre (1415) de Bernardo Ciuffagni - commandité par Beccai (Bouchers)
- Saint Jean le Baptiste (1414-1416) de Lorenzo Ghiberti - commandité par Calimala (Négociants de Laine affinée)
- Saint Georges (1415-1417) de Donatello - commandité par Corazzai e Spadai (Armuriers et fabriquants d'armes)
- Saint Eloi (1417-1421) de Nanni di Banco - commandité par Maneschalchi (Maréchaux-ferrants)
- Saint Jacques (1410-1422) de Lamberti - commandité par Pellicciai et Vaiai (Fourreurs et Pelletiers)
- Saint Matthieu (1419-1423) de Lorenzo Ghiberti - commandité par Cambio (Changeurs et banquiers)
- Saint Etienne (1427-1428) de Lorenzo Ghiberti - commandité par Lana (Tisseurs de Laine)
- le Christ et Saint Thomas (1467-83) de Andrea del Verrocchio - commandité par Tribunale di Mercanzia (Tribunal des Marchands)
- Saint Jean l'évangéliste (1515) de Baccio da Montelupo - commandité par Seta (Soyeux et Orfèvres)
- Saint Luc (1597-1602) de Giambologna - commandité par Giudici e Notai (Juges et Notaires)
Toutes ces statues sont de taille humaine ou supérieures à la taille humaine. Six d'entre elles sont en bronze. Les autres en marbre. Trois de celles en bronze sont les plus tardives : Verrocchio, Baccio da Montelupo et Giambologna (Jean de Bologne). Cette dernière surtout, puisqu'elle ne date que du début de l'époque baroque. Il fallait en effet une grande maîtrise de l'art du bronze pour pouvoir couler et faire résister des statues en bronze de cette taille. Maîtrise que déjà la Grèce antique possédait, mais qui avait été oubliée pendant le Moyen-Âge. Et avant ces trois là, il avait fallu faire appel au grand maître du travail du bronze, dont la renommée était alors à son apogée, Lorenzo Ghiberti, choisi pour construire les portes nord et est du baptistère, pour réussir l'exploit de créer les trois premières statues en bronze de grandeur nature : Jean le Baptiste ( la première de cette taille depuis l'Antiquité), Saint Mathieu et Saint Etienne.
Au-dessus de chaque statue a été placé un grand médaillon aux armes de l'Arte correspondant. Beaucoup ont disparu ou se sont estompés. Seuls cinq médaillons en céramique ont traversé le temps. Sans surprise, ils sont dus à cet autre grand artiste du Quattrocento qu'était Luca della Robbia. Un sixième médaillon, au-dessus de la statue de Saint Pierre a été façonné à la façon de Luca della Robbia, mais ne date que du XIXe siècle.
Il était alors très prestigieux pour les commanditaires de remplacer le marbre par le bronze, et il n'y a donc rien d'étonnant que ce soit les trois Arts les plus riches et les plus en vue de Florence qui aient passé ces trois commandes. Calimala, les négociants internationaux, toute première corporation, a naturellement choisi Jean le Baptiste, le Saint-Patron de Florence, et sa niche a été placée bien en évidence sur la façade est, le long de la rue la plus fréquentée de la ville. Le Cambio, qui était devenu indissociable du commerce, allait suivre rapidement avec la commande de son Saint Mathieu, placé lui du côté de l'entrée de l'église, sur la gauche de la façade. Ensuite viendra Saint Etienne commandité par La Lana. La Lana qui avait pris le pas sur la Calimala et était devenue la corporation la plus importante. Il n'est donc pas étonnant que leur Saint Etienne occupe une place centrale, au milieu de la façade ouest entre les deux portes d'entrée. Face d'ailleurs au Palazzo dell'Arte della Lana, aussi située le long de la via Calimala.
Parmi les marbres, tous sculptés avant 1420, le plus vieux d'entre eux est une Madone, située sur la façade sud, la Madone à la Rose commanditée par la corporation de Médecins et des Apothicaires. Ce choix de Médecins et des Apothicaires d'offrir un Madone à cette église dédiée à la Vierge n'est peut être pas un hasard. Elle date du tournant du siècle, et le Trecento (XIVe siècle) qui se termine a été un des plus meutriers de mémoire d'homme. Le Duecento (XIIIe siècle) s'était terminé avec une démographie à son apogée en occident. Depuis plusieurs siècles, le climat était des plus sereins. La période entre l'an 900 et l'an 1300 a d'ailleurs été appelé "Petit optimum médiéval". La population occidentale n'a cessé de croître, passant de 20 à 70 millions d'habitants.
Puis brusquement, au début du XIVe siècle, la température diminue et les pluies deviennent abondantes. Le petit âge glaciaire débute. Les récoltes deviennent mauvaises et les grains n'arrivent plus à sécher. Ils pourrissent, ce qui engendre d'énormes famines, surtout en Angleterre, aux Pays-Bas, en Allemagne et dans le nord de la France. Florence, en outre connait, le 4 novembre 1333, la pire inondation qu'elle ait connue avant celle du 4 novembre 1966, quand le niveau de la crue de l'Arno dépassa de peu celui de 1333. Il fallu des années à Florence pour s'en remettre. Alors qu'un autre fléau surgit brusquement, encore bien plus dévastateur : la peste noire de 1348-1352. Elle emportera un européen sur trois. En Italie, elle fera particulièrement des ravages. Seule Milan sera relativement épargnée grâce à des mesures rapides d'isolement de la ville.
Florence est surtout frappée en 1948-49, mais de multiples vagues vont continuer à survenir pendant la seconde moitié du XIVe siècle (comme plus tard d'ailleurs, puisque les épidémies répétitives de peste dureront jusqu'au début du XIXe siècle). On avait bien sûr tendance à appeler "peste" toute maladie épidémique importante, telles que le choléra, la dysenterie, le typhus ... mais les habitants se rendaient bien compte qu'il s'agissait d'un mal nouveau, qu'on pouvait dans bien des cas identifier grâce aux bubons. On sait aujourd'hui, grâce à l'identification du bacille Yersinia pestis par Alexandre Yersin de l'Institut Pasteur, en 1894, qu'il n'y eu que deux pandémies de peste certaines, celle de Justinien et la peste noire, toutes les autres flambées n'étant que des résurgences de celles-ci, le bacille n'étant pas éteint, mais couvant chez les rongeurs. La seconde vague la plus meurtrière qui frappa Florence apparu précisément en 1400 et tua un habitant sur dix. Outre les morts de la maladie, les grandes épidémies engendraient inévitablement des famines, car les bras manquaient pour le travail des champs. D'où l'importance critique de ces réserves de grains, gérées par la Seigneurie.
En un siècle, de 1300 à 1400, la population occidentale chuta de moitié. On estime qu'ayant atteint environ 70 millions d'habitants en 1300, il n'étaient plus que 40 millions en 1400. Certaines régions de Toscane furent particulièrement touchées, perdant en un siècle 70% de sa population. Florence avait vu sa population grimper en flèche durant le Duecento (XIIIe siècle), passant d'environ 20000 habitants en 1200 à 120000 vers 1320. Elle est alors la seconde ville européenne après Paris. En 1427, date de la création du Cadastre, la population n'y est plus que de 37000 habitants. Au cours de ce terrible XIVe siècle, on comprend bien que les médecins et apothicaires avaient été mis à rude épreuve, même si leurs capacités à soigner étaient très limitées. Il semble donc bien que ce choix d'une madone pour orner leur niche ait été une sorte d'ex-voto à la Vierge.
Cette Madone à la Rose a été sculptée par Pietro di Giovanni Tedesco, un artisan sculpteur itinérant, qui est arrivé à Florence vers 1386 et n'a fait qu'y passer quelques années, pendant lesquelles il a surtout oeuvré sur des statues de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Car on retrouve sa trace à Orvieto dès 1402, où là encore, il travaille aux fonds baptismaux de la cathédrale. On sait très peu de lui. Il était vraisemblablement originaire d'Allemagne ("Tedesco" signifie "Allemand" en italien) ou de Flandre.
Les statues des niches d'Orsanmichele qu'on conserve encore aujourd'hui sont toutes celles qui ont été sculptées à partir de ce début du Quattrocento. Mais, sans surprise, certaines d'entre elles ont remplacé des statues plus anciennes construites au Trecento, dès que le nouvel édifice a été bâti, à partir de 1337. Certaines ont peut être disparu sans laisser de traces, mais on connait quatre d'entre elles, qui ont été remplacées par les quatres statues en bronze les plus récentes.
La toute première statue à avoir été installée est un Saint Etienne en marbre, sculptée ainsi que sa niche par Andrea Pisano (1290-1348), pour l'Arte della Lana. Elle fut bien évidemment placée à la meilleure place de l'édifice encore en construction : au mileu de la façade ouest, entre les deux arcades. c'était en 1340, trois ans à peine après le début de la construction. Andrea Pisano avait été choisi par la riche corporation de la Laine, car c'était à ce moment le sculpteur le plus renommé à Florence. Il avait fréquenté Giotto et peut-être été son élève. C'est lui d'ailleurs qui compléta la série de bas-reliefs hexagonaux ou en losange commencés par Giotto pour la partie basse du campanile de la cathédrale. C'est lui aussi qui fut choisi pour la construction de la porte sud du baptisphère. Et plusieurs statues de la première façade de la cathédrale sont aussi de sa main. Parmi ses élèves, il eut Andrea di Cione, dit l'Orcagna, qui fut aussi un des sculpteurs majeurs de Florence au Trecento. Malgré son nom, Andrea Pisano n'avait aucun lien de parenté avec les sculpteurs pisans Giovanni et Nicola Pisano. Mais en 1341, donc peu de temps après avoir terminé le Saint Etienne d'Orsanmichele, il part plusieurs années pour Pise, où on lui doit notamment plusieurs oeuvres pour l'église Santa Maria della Spina, construite précisément par Giovanni Pisano. En 1347, Andrea Pisano quitte Pise pour Orvieto, où il meurt en 1348 de la pandémie de peste noire qui avait atteint l'Italie cette année là.
Vers 1427-1428, l'Art de la Laine décide de remplacer la statue en marbre d'Andrea Pisano, par une statue en bronze. Et bien évidemment, ils font appel au maître du bronze de cette époque, qu'était Lorenzo Ghiberti, qui avait déjà réalisé Jean le Baptiste pour la Calimala et Saint Mathieu pour le Cambio. La raison de ce changement est mal documenté. Était-ce pour égaler le prestige des statues des deux autres Arts majeurs ? Ou est-ce parce que la statue de Pisano était abimée ? On sait en effet qu'il manque la tête de l'original. J'ai pu lire de plusieurs sources que cet original se trouvait au Musée de l'Oeuvre de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Et en explorant mes propres photos prises en 2017 dans ce musée, j'ai pu retrouver le Saint Etienne de Pisano dans la salle du Paradis, ou figure une reconstitution de la première façade de la cathédrale, avec toutes les statues conservées remises à leur place d'origine. Le Saint Etienne d'Andrea Pisano s'y trouve. Dans la galerie du haut, à l'extrême droite. Malgré que la tête ait disparu, il ne fait aucun doute qu'il s'agit du Saint Etienne. Je suppose que les historiens d'art y retouvent la "patte" de Pisano, mais moi surtout, je peux observer une grande similitude entre celui-ci et celui en bronze de Ghiberti : l'évangile dans la main gauche, qui est un des signes distinctifs des statues de Saint Etienne, mais surtout, la volonté de Ghiberti de rester proche de l'original en marbre : le col est similaire, ainsi surtout que le drapé du tissu, qui part de sa droite pour remonter sous le livre à sa gauche, avant de retomber à la verticale. Pourquoi le Saint Etienne de Pisano se retrouve-t-il au Musée de l'Oeuvre ? A-t-il été placé sur la façade de la cathédrale après avoir été retiré d'Orsanmichele ? Était-il encore intact à ce moment ? Je n'ai pas trouvé de réponses à ces questions.
En évoquant Andrea Pisano et son élève, la deuxième statue en marbre à avoir été taillée pour Orsanmichele semble être Saint Jean l'Évangéliste, par Andrea di Cione, dit l'Orcagna ou par son école, selon plusieurs sources. Ces sources mentionnent également que l'original en marbre est au musée de l'Hôpital des Innocents (encore une superbe architecture de Brunelleschi), mais je n'en ai pas trouvé la trace. Il y figure peut-être parmi les collections non exposées. Elle sera tardivement remplacée par la statue en bronze de Baccio da Montelupo, en 1515. Baccio da Montelupo était un artiste confirmé mais peu connu. D'autant qu'il était un fervent disciple de Savonarole, et qu'il a du fuir Florence pendant plusieurs années au moment de l'exécution du moine. La commande coûteuse du Jean l'Évangéliste en bronze par la Seta reste sa réalisation la plus connue. Si la corporation de la Soie a attendu aussi longtemps pour également remplacer le marbre par du bronze, c'est probablement parce que le vêtement de soie orné de pièces d'orfèvrerie prenait à cette époque l'ascendant sur la laine, et qu'il a sans doute fallu attendre ce moment pour que la corporation ait à son tour les moyens de se payer ces oeuvres onéreuses en bronze.
La troisième statue à avoir été construite en marbre puis remplacée très tardivement par un bronze, est la statue de Saint Luc de Lamberti, commanditée par la corporation des Juges et Notaires pour le tabernacle de droite de la façade est. Lamberti, qui était un assistant de Pietro di Giovanni Tedesco, avait déjà collaboré à la Madone à la rose, et créera aussi plus tard, le Saint Jacques de la façade sud, pour les Pellicciai e Vaiai : les Fourreurs et Pelletiers. La niche en marbre qui abrite la statue a aussi été réalisée par lui. Niccolò di Pietro Lamberti, dit "l'Arétin" car originaire d'Arezzo n'était pas un sculpteur majeur de l'époque. Il est connu précisément pour ses deux statues d'Orsanmichele, et pour quelques statues du campanile de la cathédrale. Mais aussi comme étant un des évincés, comme Brunelleschi, du concours d'attribution des portes nord et est (la porte du Paradis) du baptistère, concours remporté par Lorenzo Ghiberti. Quand le Saint Luc de Lamberti a-t-il été retiré d'Orsanmichele ? Y est-il resté jusqu'à son remplacement par celui de Giambologna (Jean de Bologne), exécuté en bronze vers 1597-1602 ? Je n'en ai pas trouvé la réponse. Par contre, de nombreuses sources indiquent que l'original en marbre se trouve au Bargello. Plus précisément dans la cour située au rez-de-chaussée du Bargello. Ayant moi-même visité le Bargello en 2017 et y ayant pris quelques photos générales de la cour, je l'ai effectivement retrouvé sur l'une d'entre elles, parmi un fatras d'autres statues.
La quatrième statue revêt une importance toute particulière, vu ses commanditaires, son emplacement d'origine et surtout celui qui l'a réalisée : Donato di Niccolò di Betto Bardi, dit Donatello, qui fut l'artiste le plus influent de la Première Renaissance, qui influença presque tous les peintres et les sculpteurs qui l'ont suivi, qui fit définitivement passer la sculpture du gothique au naturalisme de la Renaissance, qui mit ses sujets en mouvement, qui renoua avec le contrapposto de l'Antiquité, qui appliqua la perspective de Brunelleschi à la sculpture, comme on peut notamment le voir sur la prédelle de son Saint Georges, autre statue pour la façade d'Orsanmichele, pour les Armuriers et fabriquants d'armes. Il y invente la technique du relievo schiacciato, où la perspective est rendue en applatissant davantage les parties qui sont supposées se trouver plus loin du regard. Il est aussi celui qui réalise le premier nu en ronde-bosse depuis l'Antiquité, avec son David en bronze d'env. 1440. Giorgio Vasari a dit « qu'après sa mort tous ceux qui travaillèrent en relief purent se dire avoir été de ses élèves ». Et de fait, Donatello, qui vécu vieux (1386-1466) a produit beaucoup et a fait des émules. Vers la fin de sa vie, Donatello prit Bertoldo di Giovanni comme élève ; Bertoldo a ensuite eu Michel-Ange comme élève. On peut donc affirmer que Donatello a influencé le grand Michel-Ange et tous les artistes qui l'ont suivi. Si la première statue a être attribuée avec certitude à Donatello est son premier David, en marbre, datant de 1408, à l'âge de 22 ans, sa première oeuvre magistrale, aux dimensions supérieures à la taille humaine, est une autre statue d'Orsanmichele, son Saint Marc, sur la façade sud, pour les tisseurs de lin et les fripiers. Elle a été achevée en 1413. Il avait 27 ans.
Mais il y eut, depuis 1423, une troisième statue de Donatello sur les murs d'Orsanmichele. À l'endroit le plus en vue: dans la niche centrale de la façade est de l'église, le long de la très passante via del Calzaiuoli, un Saint Louis de Toulouse, remplacé dans les années 1480 par le Christ et Saint Thomas de Verrocchio. Saint Louis de Toulouse, à ne pas confondre avec le roi de France Saint Louis (Louis IX), n'a pas vraiment marqué l'histoire en général, ni même l'histoire de la chrétienté. Mais il avait une certaine célébrité à l'époque, et surtout l'histoire de sa courte vie convenait bien au message que voulaient véhiculer ses commanditaires. À la fin du XIIIe siècle, la France et les royaumes d'Espagne se disputent déjà l'Italie, en particulier le sud. Une suite de guerres qui dura jusqu'au XVIe siècle. Charles II d'Anjou est roi de Naples. Suite à plusieurs défaites contre le royaume d'Aragon, ses fils sont maintenus en otage à Barcelone. Louis est le deuxième fils. Il fait savoir au pape Clément V qu'il veut devenir prêtre. Clément V le nomme évêque de Lyon, mais cette charge ne sera jamais effective. Peu de temps après qu'un traité de paix soit signé en 1295, sous l'influence du pape suivant, Boniface VIII, le frère ainé meurt alors que Boniface VIII, n'ayant pas oublié la volonté de son prédécesseur, a nommé Louis évêque de Toulouse. Nomination qui deviendra effective en décembre 1296. La succession à la couronne de Naples lui revenant également, il renonce à celle-ci et la cède à son frère Robert, le troisième fils de Charles II d'Anjou. Louis d'Anjou, évêque de Toulouse, meurt quelques mois plus tard, en 1297, à l'âge de 23 ans. Il est canonisé dès 1317.
Cette volonté de rester au service du pape et de renoncer à la couronne en fera un symbôle pour le parti Guelfe, devenu tout puissant à Florence et en Toscane au XIVe siècle. Rappelons que deux personnages se disputaient la primauté sur les cités italiennes : la Pape d'une part, et l'empereur du Saint Empire Romain Germanique d'autre part. Les Guelfes soutenaient le pape, et les Gibelins, l'empereur. Il en résultat des conflits incessants entre ces deux factions, principalement au XIIIe siècle, desquels les Guelfes sortirent vainqueurs. Et Florence était en grande majorité du parti des Guelfes. À cela il faut ajouter que lors de la querelle entre Guelfes noirs et Guelfes blancs du début du XIVe siècle, Charles d'Anjou, le père de Louis avait occupé Florence avec ses troupes et pris très nettement le parti des Noirs, ce qui leur permis de l'emporter sur les Blancs, qui furent bannis, dont Dante qui mourut en exil. Les Guelfes ont donc demandé à Donatello de construire une statue grandiose en l'honneur de Saint Louis de Toulouse pour occuper la place centrale de la façade est d'Orsanmichele.
Le Saint Louis de Toulouse de Donatello allait être la plus grande statue en bronze construite depuis l'antiquité tardive, et la troisième construite à une taille dépassant la taille humaine, après Jean le Baptiste et Saint Mathieu de Ghiberti. La statue de Donatello, construite vers 1423-25, mesure 2,86m de haut, et est en bronze entièrement doré à l'aide d'un alliage à base de mercure. Sa mitre est recouverte de cristaux de roche ainsi que d'émaux sur lesquels sont dessinées des fleurs de lys. Sa crosse, dont la partie courbée est perdue est particulièrement travaillée avec une galerie de petits putti à sa poignée. Le tout a coûté le prix exorbitant pour l'époque de près de 3500 florins, dont 3000 rien qu'en matériaux.
Dès le début du siècle, les grandes familles prennent de plus en plus d'ascendant, tels que les Albizzi. Jean de Medicis, quant à lui, est d'origine modeste, mais il est marchand de laine et banquier. Il s'oppose à l'oligarchie qui se met en place, oligarchie qui sans surprise a su résister aux vicissitudes du XIVe siècle. Son fils Cosme, après des affrontements avec l'oligarchie qui lui vaudront un passage en prison, en sort vainqueur grâce au peuple qui le porte au pouvoir. Les Medicis, grâce à leur fortune acquise par la banque, se feront les mécènes des artistes de l'époque, qui révolutionnent l'art en tournant le dos au gothique pour retrouver les pratiques antiques, et se tournant vers le naturalisme.
Dans ce contexte politique, le parti Guelfe perd rapidement de son influence. Et ce faisant, en 1459, ils revendent leur tabernacle central de la façade est d'Orsanmichele au Tribunal des marchands. On sait déjà que vers 1467, le Tribunal des Marchands confiera à Verrocchio l'installation du Christ et Saint Thomas dans ce tabernacle d'où le Saint Louis de Toulouse de Donatello a été ôté. Pour celui-ci, il a été recherché un autre endroit digne de l'oeuvre. Le second endroit qui s'imposait à Florence était le monastère franciscain de Santa Croce. Louis d'Anjou s'était fait franciscain, et de plus, lors de son périple en Italie, il avait visité Santa Croce. Il fut donc décidé de le placer dans une niche située au dessus de la porte principale de la basilique de Santa Croce. À cette époque, la façade était encore en briques. La façade définitive en marbre, bien que dessinée dès le XVe siècle, ne fut construite qu'au XIXe siècle, à partir de 1857. La niche sur la façade de Santa Croce était peu profonde, et pour pouvoir y loger l'immense statue de Saint Louis de Toulouse, il fallut la détériorer quelque peu, en enlevant des parties du bronze à l'arrière de la statue. Ces détériorations sont évidemment toujours visibles aujourd'hui. L'oeuvre de Donatello n'était vraiment pas mise en valeur sur cette laide façade, et de plus, située beaucoup trop en hauteur pour capter le regard. En 1859, elle fut retirée, lors des travaux d'édification de la nouvelle façade, pour être placée un temps sur le côté intérieur de la nouvelle façade, avant d'intégrer, en 1908, le musée de Santa Croce, dans l'ancienne salle à manger des moines, dans une niche moulée à l'identique sur la niche originale de Donatello à Orsanmichele.
Lorsqu'en 1943, toutes les statues extérieures d'Orsanmichele furent retirées de leurs niches pour les mettre à l'abri, et avant qu'on ne les y réinstalle en 1945, on en profita pour replacer le Saint Louis de Toulouse dans la niche des marchands d'Orsanmichele pour vérifier si elle pouvait effectivement provenir de cet endroit. Non seulement la statue de Donatello s'y logea parfaitement, mais en plus, on découvrit qu'un trou dans la base de la niche correspondait exactement à l'endroit où pouvait se ficher la crosse de la statue pour mieux la maintenir. La preuve était définitivement apportée que le Saint Louis de Toulouse avait bien été construit pour Orsanmichele.
Lors des inondations de 1966, la statue fut passablement abimée. Elle fut donc restaurée. Et c'est au cours de cette restauration qu'on put confirmer l'esprit expérimental de Donatello et révéler qu'il l'a coulée en dix parties séparées qu'il a ensuite dorées avec un amalgame à base de mercure, avant de les assembler autour d'un noyau en les plaçant les unes à côté des autres de manière à ce qu'elles se chevauchent.
Toujours à propos de Donatello, revenons sur son Saint Georges. Au XIXe siècle, c'était la statue qui plaisait le plus, de par sa prestance martiale, mais cetratainement aussi du fait de sa prédelle (le socle de la statue) dont le schiacciato était une trouvaille révolutionnaire pour l'époque. Il était placé dans une des deux niches les moins profondes, ainsi que le Saint Mathieu de Lorenzo Ghiberti qui lui était adossé sur la façade ouest. Ceci du fait que l'escalier intérieur menant au premier étage empiétait sur la profondeur de la façade. De plus, en 1858, le nez fut cassé à cause d'un jet de pierre. Il fut donc décidé de la transférer au musée du Bargello accompagnée de sa niche et de sa prédelle originales, où elle arriva en 1891, et où elle se trouve toujours aujourd'hui, tandis qu'un copie en bronze la remplaça, dans une copie de la niche d'Orsanmichele dès 1892, et finalement remplacée par une copie en marbre, fidèle à l'original, seulement en 2008.

Prédelle de la statue de Saint Georges, représentant Saint Georges sauvant la princesse en tuant le dragon.
Le schiacciato est bien visible sur les arcades de droite et sur la tête du cheval.
Après le dernier changement du début de l'époque baroque, quand le Saint Luc de Giambologna fut installé sur la façade est, les façades d'Orsanmichele restèrent inchangées pendant des siècles, jusqu'au remplacement du Saint Georges par une copie à la fin du XIXe siècle. Les statues furent ensuite ôtées de leurs niches pendant la guerre, entre 1943 et 1945 pour les mettre en lieu sûr.
Il a fallu attendre les années 1980 pour que les satues, menacées de dégradation du fait de la pollution, soient ôtées définitivement de leurs niches et remplacées par des copies.
Pendant ces siècles, divers changements eurent aussi lieu à l'intérieur. En 1569, après le retour des Medicis et la fondation du Grand Duché de Toscane, le Grand Duc Cosimo Ier de Medicis fit transformer le premier étage en une salle d'archive. Il la fit relier au Palais de la Laine, situé en face par un passerelle couverte en pierre, encore visible aujourd'hui. Après la seconde guerre mondiale, l'étage fut utilisé comme lieu de conférence où étaient lus des passages de la Divine Comédie de Dante. Dans les années soixante, à l'occasion des 700 ans de la naissance de Dante, les lieux furent entièrement réaménagés, et un escalier en colimaçon fut construit entre le premier et le second étage, déjà dans l'idée d'en faire un espace muséal unique. Les fenêtres à meneaux des deux étages furent laissées libres, offrant aux visiteurs un magnifique panorama sur la ville, surtout du second étage.
Et quand les statues originales furent ôtées des niches dans les années 1980, elles furent transportées au premier étage. Elles furent nettoyées et restaurées, et l'espace, transformé en musée, fut ouvert pour la première fois au public en 1996.
En 2005, l'organisation des musées de Florence fut rassemblée sous la responsabilité de la surintendance des musées florentins, et en 2015, Orsanmichele, en tant que musée de sculpture, fut rattaché au Bargello, ainsi que la Chapelle Medicis de la basilique San Lorenzo, le Palazzo Davanzati et la Casa Martelli. Dans les années qui ont suivi la reprise par le Bargello, une grande campagne de rénovation d'Orsanmichele a été entreprise. Le Tabernacle de l'Orcagna a été restauré, ce qui a pris trois ans. Pendant la pandémie de Covid, le Saint Marc de Donatello a été restauré en 2021, et toutes les statues ont été inspectées pour y desceller d'éventuelles dégradations. En 2024, un nouvel éclairage a été installé dans l'église, pour y donner plus d'éclat aux oeuvres et aux voûtes. De nouvelles portes ont été placées, vitrées pour donner encore plus de lumière et pour pouvoir observer les deux nefs de l'extérieur. Une troisième porte a été ouverte sur la façade ouest, à l'arrière du tabernacle de l'Orcagna pour pouvoir contempler également l'arrière de l'oeuvre. L'étage a entièrement été réaménagé, plaçant les statues plus en hauteur sur des podiums, et devant des panneaux, en les remettant en outre dans la même disposition que sur les façades extérieures. Les visiteurs les voient ainsi du bas vers le haut comme c'était le cas quand elles étaient dans les niches des façades. Ce tout nouvel espace vient d'ouvrir à la fin de l'année 2024.
L'histoire d'Orsanmichele de l'orto du VIIIe siècle au musée de 2024 est résumée dans la video ci-desous :
Pour en savoir plus :
1. Florence as it was: Orsanmichele, Walter and Elisabeth Paatz (1952).
Traduction anglaise de l'Allemand. Le texte date. On y trouve des erreurs d'attribution de certaines statues et les statues précédentes ne sont pas évoquées, mais l'histoire de l'édifice s'inscrivant dans le contexte politique de l'époque y est décrit avec beaucoup de détails
2. The Statues Speak: Political Rhetoric in the Sculpture of Orsanmichele, Julie K. Beauvais, Duke University (2014-15).
Une bonne description de l'histoire d'Orsanmichele, ainsi que du contexte politique, incluant les corporations, les Guelfes et les Medicis. Le choix des statues par les corporations est remis dans son contexte politique. L'analyse inclut le Saint Louis de Toulouse de Donatello et les liens entre les Guelfes et Charles II d'Anjou.